2046 - Wong Kar Wai - 2004*
La Femme d'à côté - François Truffaut - 1981
« Il n’existe un jour qui passe sans sentir ton souffle remonter à mes lèvres
Ton absence t’impose telle une source d’eau, masquée d’ombres, dans un jardin andalou
2046 - Wong Kar Wai - 2004*
La Femme d'à côté - François Truffaut - 1981
« Il n’existe un jour qui passe sans sentir ton souffle remonter à mes lèvres
Ton absence t’impose telle une source d’eau, masquée d’ombres, dans un jardin andalou
Le 30 juillet 2019 fut le début d'un bref séjour heureux, au coeur de l'Andalousie si chère à mon coeur. Un séjour qui commença par savourer un jus d'orange, à l'ombre de la terrasse du Parador de Granada pour se terminer, après quelques banales péripéties, en un feu d'artifice musical et émotionnel. J'y suis allé à la rencontre des Romero* surtout Pepe, le temps d'un concert unique en hommage à Joaquin Rodrigo. Je trouvais curieux d'avoir attendu 42 ans pour rencontrer un artiste que j'admire: Pepe Romero, jouant le Concierto Andaluz de Rodrigo, en compagnie de trois autres guitaristes, membres de sa famille de légende, los Romeros, la famille royale de la guitare classique.
Comme l'histoire musicale de l'Espagne au XXème siècle est faite à partir d'une mosaïque éblouissante de soubresauts et d'évènements inattendus, ce concert se tenait à la Médiathèque Manuel de Falla qui fut l'un des premiers créateurs du XXème siècle à saluer le génie de Rodrigo. Le concert concernait en particulier le Concierto Andaluz (1967), unique oeuvre crée par Rodrigo pour quatre guitares et orchestre, à la demande de Celodonio Romero, doyen des Romero. Un joyau de la couronne de l'oeuvre de Rodrigo, et pas des moindres.
Le public de Rodrigo et une bonne partie des critiques sur la scène européenne ont souvent voulu voir en lui le créateur d'une seule oeuvre majeure, le célébrissime Concierto de Aranjuez, créé à Paris en 1939 et présenté en première à Barcelone en 1940. Il ne se passe pas un jour sans qu'Aranjuez ne soit joué devant un public, quelque part dans le monde. Le retentissement mondial de cette oeuvre fut tel qu'elle a quasiment occulté, au moins jusqu'aux années 1990, toutes les oeuvres qui l'ont suivies, sauf ces rares moments de plénitude et de reflexion, à l'écoute d'oeuvres comme Fantasia para un gentilhombre (1954), Concierto Madrigal (1966) et Concierto para una fiesta (1982), toutes créés par les Romero.
Le Concierto Andaluz (1967) fut l'un de ces grands moments. Je dirais qu'il est l'une des oeuvres qui a le plus révélé l'amplitude du talent de Rodrigo dans toute son étendue: l'anonnce d'un départ entrainant, un mouvement central rempli de couleurs et de nostalgie, de très brefs moments de silence pendant lesquels se jaugent les solistes et l'orchestre, suivis d'une finale en majestueuse harmonie avec les deux mouvements précédents ; à savoir l'évocation d'un passé splendide, une pause de recueillement sonore offerte comme une reflection sur le temps et l'endroit pour déboucher sur une finale qui recoupe toute cette gamme d'émotions partagées à la fois par l'auditeur, l'orchestre dans son ensemble et par la salle toute entière.
J'ai eu le privilège d'écouter le Concierto Andaluz pour la première fois en 1977, sur un vinyle 33 tours édité par la maison Philips. Cet arrangement s'est révélé par la suite se distinguant des autres orchestrations par un très court moment d'interrogation (musicale) au milieu du 2ème mouvement, l'Adagio qui se recoupe en trois partitions: Adagio, Allegro, Adagio. Un détail singulier qui ne se trouve point sur aucun des enregistrements qui ont suivi. Ce qui explique que j'ai attendu 42 ans pour m'expliquer cette exception par l'un des guitaristes pionniers qui l'ont créé.
Ma surprise fut grande quand Pepe Romero admettait que du fait qu'il a joué cette oeuvre plus que 200 fois, il ne pouvait se souvenir de cette nuance si particulière. Le mystère demeurera donc entier; ce qui n'enlève rien à l'effet que génère l'oeuvre chez l'auditeur ni à la plénitude de la charge émotionnelle de l'oeuvre dans son ensemble. Une empreinte esthétique qui se perpétue à travers les différentes oeuvres de Joaquin Rodrigo qui a dédié son Concierto Andaluz au quatuor Romero dont les virtuoses guitaristes ont su , à travers des décennies, porter la maîtrise de la performance à des niveaux jamais égalés de nos jours.
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* Los Romeros, quatuor de guitare fondé par Celedonio Romero en 1960 , accompagné par ses trois fils, Angel, Pepe et Celin. La famille Romero est mondialement connue sous le nom de " La famille royale de la guitare classique". Pepe Romero, éminent guitariste au niveau mondial, en demeure l'un des piliers.
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Alex Caire
Extrait du Temps perpétuel
Horus Editeur-2021
Nombreux ceux qui ont essayé de cataloguer Vangelis. Entre "New Age" et "Postmodernisme," parmi d’autres étiquetages absurdes, ils se sont tous cassé les dents. C’est que Vangelis étonne et ne cesse de surprendre, tout en revisitant les origines de son œuvre.
Dans "Curious Electric", extrait de son album Short Stories1, sorti en 1979, il sondait, avec la voix spatiale de Jon Anderson2, les rapports curieux qu’entretiennent l’homme et l’énergie électromagnétique, comme si déjà à l’époque, il prévoyait un possible dialogue. Force est de constater que c’est toujours le cas aujourd’hui dans la réalité de l’exploration de l’espace et son rapport avec la machine, notamment celle susceptible d'amener l'homme le plus loin possible dans l’espace. Cette fois, dans Juno to Jupiter*, le dialogue change de dimension. Il se décline dans tous ses états à partir d’un murmure doux, ressenti dans "Juno’s Tender Call"* jusqu’à atteindre un état de confrontation directe, dans "Jupiter’s Veil of Clouds".
Entre l’homme et cette nature inconnue, souvent imprévisible voire hostile, navigue une puissante machine, la sonde Juno ou Hera, du nom grec de la déesse Junon, épouse de Jupiter. Vangelis semble ignorer le présent. Chez lui, le passé est directement lié à un possible avenir de l’homme dans l'espace. Zeus est Jupiter, son épouse Héra est Junon. Ils sont les ancêtres de la sonde Juno et les dieux de l’espace. Lancée en 2011 et mise en orbite autour de Jupiter en 2016, Juno assure la collecte et l’analyse des données provenant de cette mystérieuse planète jusqu’en 2025.
Juno s'est faite propulsée par une fusée Atlas. Avec "Atlas's Push"*,Vangelis nous rappelle l’ambiance de China (1979)3, la poussière des étoiles dans "Starstuff"** de Rosetta (2016)4. D’un côté Jupiter, planète impassible, entourée de mystère abrupt. De l’autre, la NASA et son armée de chercheurs, d’astrophysiciens et d’ingénieurs et sa sonde qui surgit d'une scène improbable de Blade Runner5.
Le premier signe de cette confrontation Espace/Homme se décline dans une calme détermination de Juno, "Juno’s Quiet Determination "*. Une expérience musicale inédite et téméraire .... On sent la sonde mugir, cherchant à communiquer avec Jupiter, méfiant, impassible !
Curieuse Héra
J'ai eu l'outrecuidance de prédire, à la sortie de l'album Rosetta4 en 2016, que la séquence “Sunlight”** était l’incarnation de cet album homogène, irradié par cette puissance d’expression qui caractérise la musique de Vangelis. Et voilà que "Sunlight" se mue en "Hera/ Juno Queen of Gods"* en 2021. Point d'exclamation...! Vangelis se perpétue volontiers pour mieux accentuer l’effet dramatique de la rencontre Juno-Jupiter; mais cette fois avec la voix céleste d’Angela Gheorghiu6 qui rappelle son chef d’œuvre, "Glorianna"7 en 1989 qui consacra la voix inoubliable de Markella Hatziano8.
Vangelis perpétue le dialogue sonore entre Juno et Jupiter en face à face choral et musical qui révèle ce dialogue inédit. Il esquisse les traits de cette confrontation, avec la patience du peintre qu’il est, offrant ainsi à écouter, et aussi à voir, Juno to Jupiter*, qui vient tout naturellement s’ajouter, après Spiral9, Invisible Connections10, , Mythodea11 et tout récemment Rosetta4, à sa longue série d’œuvres qui illustrent l’aventure humaine dans l’espace.
Vangelis sonde ainsi, dans une chorégraphie musicale et sonore, entièrement dédiée à l'esthétique de l’expression artistique , l’absence de réponse du vaste cosmos à l’inquiétude de l’homme qui s’entête à percer le mystère de l’être et celui du devenir.
* Juno to Jupiter - Vangelis- Decca Records-2021
Extraits cités:
Atlas Push; Juno's Quiet Determination; Juno's Tender Call; Jupiter's Veal of Clouds; Hera/Juno Queen of the Gods
** Rosetta - Vangelis - Decca Records -2016
Extraits cités:
Starstuff; Sunlight
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1 Short Stories, Polydor, 1979, premier album studio de Jon Anderson et de Vangelis, marquant le début d'une brillante collaboration;
2 Jon Anderson, auteur-compositeur-interprète et musicien britannique, cofondateur du groupe Yes, révélé pour avoir chanté So Long Ago, So Clear de l'album Heaven and Hell de Vangelis, sorti en 1975, entre autres participations dans plus de 7 albums de Vangelis dont 4 avec Jon;
3 China, Polydor, album de Vangelis, sorti en 1979;
4 Rosetta, Decca Records, album de Vangelis, sorti en 2016;
5 Blade Runner, film iconique de science fiction de Ridley Scott, sorti en 1982. Il a été désigné meilleur film de science fiction du XXème siècle;
6 Angela Gheorghiu, soprano roumaine. Depuis 1990, elle chante au Scala de Milan, au Covent Garden à Londres et au Wiener Staatsoper de Vienne, entre autres lieux prestigieux;
7 Glorianna (Hymne à la femme), extrait de l'album Direct de Vangelis, sorti en 1989, est chanté par Markella Hatziano. Cet opus est considéré comme l'un des summums de Vangelis, toutes oeuvres confondues;
8 Markella Hatziano, " the Gleaming Voice", mezzo-soprano grecque . Elle est apparue avec tous les grands orchestres symphoniques du monde. Elle chante Verdi, Chopin, Puccini, Berlioz, Ravel et Mahler, entre autres créateurs majeurs;
9 Spiral, RCA Victor, album de Vangelis, sorti en 1977;
10 Invisible Connections, Deutsche Grammophon, album de Vangelis, sorti en 1985. Album expérimental selon certains, il est l'une des oeuvres les plus controversées de Vangelis;
11 Mythodea, Sony Classical, album de Vangelis, sorti en 2001. Symphonie chorale dotée d'une mise en scène titanesque, présentée à Athènes en juin 2001 et transmise à une audience mondiale, portée par l'orchestre London Metropolitan avec les voix de Jessye Norman et Katheen Battle. L'oeuvre célèbre le lancement de la mission du véhicule spatial 2001 Mars Odyssey de la NASA, mission destinée à sa mise en orbite autour de Mars.
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Alex Caire
Curious Vangelis
Extrait
Le Temps perpétuel
Horus Editeur- 2021
J’ai toujours accordé une grande importance aux lieux qui, contrairement aux humains, sont perpétuels. Le temps nous traverse dans un éclair pour continuer son voyage perpétuel vers un infini qu’aucun humain n’a su définir. J’ai choisi depuis quelques années de mesurer notre furtive et ô combien futile existence face à l’immense solitude du temps, tout en essayant de célébrer, faudrait-il bien une quelconque consolation, le temps perpétuel propre à chacun de nous, voire mon propre temps perpétuel. Avec l’écoulement du temps, surtout les moments de bonheur qui s’empresse de partir, je fus toujours heurté par cet indicible lien qui lie l’art dans son accomplissement à la beauté que l’humain essaie de créer pour se perpétuer dans le temps infini, comme quoi Michel Del Castillo n’a jamais été plus juste qu'en affirmant que depuis les pyramides, les hommes n’ont de cesse de dresser des livres entre eux et la mort. Je me suis alors demandé pourquoi donc mourir quand goûter à l’art ou le concevoir sous le prisme de la beauté nous permet de vivre ou de revivre ce que nous avons de plus précieux: le temps. Je dois néanmoins avouer que le concept de la Beauté est devenu une denrée si rare à notre époque défigurée par la bêtise, la vulgarité et l’avidité. Une époque malade d’une morbide métamorphose érigée en principe de survie. Nous sommes sommés d'évoluer, de changer, de s’adapter, toujours s’adapter, à tout prix, suivant le diktat de l’époque où nous sommes tous devenus des étrangers les uns aux autres, tout en prétendant le contraire.
Vient alors le rôle des lieux dans une vie. Nous serons toujours marqués par des lieux qui nous sont aveugles, sourds mais jamais muets. Nous sommes nés pour être marqués par des lieux qui nous donnent des bribes de savoir, à commencer par celui de notre finitude. Quant à nous, nous passons d'une dimension à une autre et nous ne donnons rien ou presque.
Une fois entouré par l’indicible beauté des jardins du Généralife, à Grenade, un miracle se produit, quand l’ombre vient atténuer les dernières empreintes du soleil sur le jaillissement perpétuel de l’eau, rythmé par le silence de l'instant, du non temps indéfinissable, dans ce paradis figé dans l'esprit des humains, cernés, eux, par la finitude. La beauté, quant à elle, est infinie. Elle transcend la description. Perpétuelle, elle poursuit son voyage dans son temps perpétuel.
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Alex Caire
Extrait
Le Temps perpétuel
Horus Éditeur- 2021
Fleur de Bray et Thu Le chantent Aranjuez
Je me permets, aujourd’hui, de m’inspirer du titre de l’écrivain français Philippe Sollers, auteur de Casanova l’Admirable (i), pour prendre la mesure de ce que représente Joaquin Rodrigo (ii) (1901-1999) dans la plus admirable de ses qualités, la générosité qui confirme l’érudition de son expressivité musicale.
Si l’Espagne et le monde célèbrent cette année le vingtième anniversaire de sa disparition, j’aimerai rappeler deux créations au coeur de l’œuvre musicale de Rodrigo qui sont tout simplement de grands moments de l’histoire musicale mondiale. A cette fin, je demande à mes amis du cercle intime du compositeur de bien vouloir m’interpeller si une quelconque confusion de détail se fait jour. Dans ces deux cas précis, des souvenirs personnels et émotionnels sont intervenus; ce qui pourrait affecter l’exactitude temporelle des faits, bien que j’en doute fort.
J’ai découvert Rodrigo à l’âge de 19 ans, mais je ne savais pas que sa musique allait changer ma vie. Je me rendais tous les samedis à Columbia House qui fut le plus grand disquaire d’Alexandrie, m’enquérir des nouvelles sorties. C’était souvent un prétexte pour écouter de la musique et discuter avec la responsable du magasin qui maniait un français parfait. J’avoue que la fréquence de mes visites a fini par intriguer cette dame courtoise qui commença à s’intéresser à mes observations. Un samedi après-midi, une fois le sujet du fameux Concierto de Aranjuez (iii) abordé, elle me présenta, avec un sourire convenu, une cassette qu’elle venait de recevoir, le Concierto de Aranjuez, joué par le grand harpiste Nicanor Zabaleta (iv). Elle m’affirma que Zabaleta a enregistré cette version chez EMI en 1973. Nous étions en 1974. Je n’ai pas hésité une seconde à acquérir cette précieuse trouvaille. Et voilà que s’ouvrait devant moi une dimension inattendue de l’œuvre de Rodrigo. Je fus étonné de découvrir comment la harpe sous l’impulsion de cet illustre harpiste a su donner à Aranjuez cette dimension profonde voire étrange, une émotion toute différente de l’effet attendu de la guitare (talent du guitariste mis à part). J’avais l’impression d’écouter deux immenses guitares se partager les notes du célèbre ouvrage. Deux guitares qui s’interpellent dans la nuit au fond d’une forêt silencieuse.
Quelques années plus tard, Rodrigo créa en 1978 le Concierto Pastoral (v) pour le flûtiste James Galway (vi). Connaissant Galway et son répertoire, cette création m’intrigua. Rodrigo avait jusque là l’habitude de confier le rôle de soliste, au moins dans ses œuvres “andalouses” (vii) à des instrumentistes latins. Cette œuvre est d’autant plus surprenante que Galway lui-même avait demandé à Rodrigo en 1974 la permission de jouer Fantasía para un gentilhombre (viii); ce qu’a fait Rodrigo avec grâce. Cela signifie que dans tous les passages où intervenait la guitare dans la Fantasia, œuvre majeure de Rodrigo, la guitare cédait sa place à la flûte vive de Galway. Il m’a fallu écouter deux fois de suite la Fantasia dans sa version originale puis dans celle dédiée à Galway puis le Concierto Pastoral, trois fois d’affilée, pour comprendre l’étendue de cette admirable qualité de Joaquin Rodrigo, la générosité audacieuse. Je ne fus pas surpris par la suite de ne jamais voir ou écouter se produire le contraire: un Concierto Pastoral joué par une guitare solo à la place de la flûte. Mais cela restera un des mystères de Rodrigo, l’Admirable.
Galway joue Rodrigo
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Blade Runner 2049 (2h44')
Film de Denis Villeneuve (2017), sur les écrans du monde et bientôt sur tous supports
Le 5 juillet 2016, veille du souvenir du décès de Joaquin Rodrigo, le disquaire La Quinta de Mahler à Madrid présentait une version de certaines des oeuvres du génie espagnol: Fantasía para un gentilhombre, el Concierto para una fiesta ainsi que l'inévitable el Concierto de Aranjuez, le tout gravé sur un nouveau disque du jeune guitariste espagnol, Pablo Sáinz Villegas, accompagné par l'Orchestre national d'Espagne**
Existe-t-il un quelconque hasard à célébrer Rodrigo chez Mahler ? Aucun. Et si Mahler ouvrait la porte de l'éternité à Rodrigo; l'un et l'autre faisant partie de notre émotionnel collectif à travers les temps?!!
La musique de Gustave Mahler est traversée par une multitude d'émotions, de la pure sérénité aux abîmes de l'infinie tristesse. Elle touche l'universel par le biais de l'expression individuelle de la passion, du regret, de la perte. Cependant, elle rejoint la musique de Rodrigo dans ce que cette dernière exprime dans toute sa splendeur: l'expression du sentiment individuel dans son rapport à l'espace, à l'endroit, au temps qui s'enfuit ,nous laissant une trace de nostalgie qui nous lie au moment présent. Deux mondes qui se rejoignent, pour notre bonheur? Faudrait le croire!
Mahler exprime une individualité hors pair faite d'émotion, de regret et de réflexion. Rodrigo place son émotion au cœur d'une déclaration universelle d'amour à la personne aimée, à l'endroit, à la famille, au pays. Mahler touche au romantique pur, à l'homme, seul, face au monde. Rodrigo célèbre l'homme, entouré par une variété d'émotions musicales, en harmonie avec le monde, embrassant ce dernier. Mahler, le solitaire;Rodrigo l'humain pluriel. Mahler ouvre la porte à Rodrigo? Que du bonheur, musical ! Penser à Mahler en écoutant Rodrigo. Une beauté insoupçonnée...
Souligner cette singulière complémentarité entre deux musiques, deux mondes qui n'étaient pas sensés se rencontrer. Aucune étude digne de ce nom n'a encore été effectuée sur la dynamique lyrique de la musique de Rodrigo, riche de leçons d'expression, de retenue et de contrastes. Tout le contraire pour Mahler. Il suffit de se tourner vers Rodrigo le Castillan dans ses premières oeuvres pour s'acheminer vers Rodrigo l'Andalou, bien avant la seconde partie de sa vie. Rodrigo le méticuleux, le concis, le précis de ses premières oeuvres pour piano et violons qui évolue vers Rodrigo le fastueux, le généreux et l'émotionnel, dans ses oeuvres pour guitare,harpe, flûte et orchestre et j'en laisse certes échapper plusieurs autres facettes musicales .Mahler, par contre, oui. Il suffit de revoir le Chef d'œuvre de Luchino Visconti, Mort à Venise (1971) d'après l'œuvre de Thomas Mann pour bien apprécier l'œuvre de Mahler; la Quinta ... en espagnol.
J'ai beaucoup regretté, à titre personnel, que la musique de Rodrigo ne soit pas utilisée par le regretté Raoul Ruiz pour son film, le Temps retrouvé (1998). Une autre sublime rencontre, mais hélas ratée.... Retrouver le Temps pour parvenir à mieux le raconter, toute la destinée de l'Art est là.
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* Extrait du Temps perpétuel -Alex Caire-2017
** La Orquesta y Coro Nacionales de España presenta el cuarto lanzamiento de su sello discográfico, dedicado en esta ocasión a los conciertos para guitarra de Joaquín Rodrigo, interpretados por el guitarrista Pablo Sáinz Villegas y la Orquesta Nacional de España dirigida por Juanjo Mena. El CD incluye el Concierto de Aranjuez, la Fantasía para un gentilhombre y el Concierto para una fiesta
Le 14 septembre 1822, Jean-Francois Champollion, " déchiffreur d'hiéroglyphes", cria: " je tiens mon affaire », puis tomba dans le coma. Il venait de déchiffrer l'écriture des anciens égyptiens sur la pierre de Rosette. Cette découverte donna naissance à l'égyptologie. Alors que la sonde Rosetta de l'Agence spatiale européenne atterrit aujourd'hui 30 septembre sur sa cible finale, la comète Tchouri, alias 67P/Tchourioumov-Guerassimenko, Vangelis lança "sa" Rosetta le 23 septembre dernier, illustrant en musique cet exploit spatial.
Parler de Vangelis en 2016 semble plus que superflu. Que dire après tant de controverses à l'égard d'une oeuvre si iconoclaste ? Vangelis tutoie les étoiles, la gloire, l'éternité ? Je suis persuadé qu'il s'en moque et laisse les autres parler et écrire sur lui et sur son oeuvre. N'a-t-il pas déclaré à la BBC, en 1982, que pour le connaître, il suffirait d'écouter sa musique?. Rosetta, son dernier (chef d'œuvre... un mot tant galvaudé) opus vient de frapper à nos portes avec, toujours, cette question entêtante. Que veut-il encore nous dire? Lui qui raisonne seulement avec la modestie du son; lui qui pense que la musique est tout, mais surtout une maille invisible de sons.
Concrètement, Rosetta a l'allure de quoi ? De tout ce que Vangelis a conçu depuis 1976. Les puristes vont bondir ! Mais bon, tout Vangelis est là. Il suffit de "se livrer" à l'écoute, bien qu'il est quasi impossible de décrire en mots cette pure expression musicale: "Origins" se lance et nous lance sur la piste de "Spirale". "Starstuff" nous replonge 20 ans en arrière, le temps de "Oceanic", comme si l'espace et le monde aquatique ne font qu'un chez cet étrange créateur. "Infinitude" nous ramène en "1492", sur le chemin du retour de Christophe Colomb. "Exo Genesis" renoue avec "Chariots of Fire", sa symphonie de 1981, avec un éclair rageur vers "Unvisible Connections". Ensuite, "Celestial Whispers" fait son apparition. Quels soupirs célestes! Si le ciel pourrait nous le dire, il en parlerait. Étonnante source de sons ou la clarté se fait reine. La séquence "Albedo 0.06" traduit la perspective de la réflection solaire sur la terre ,vue de la sonde .... Inconcevable, quand on sait que le précédent "Albedo"(solaire/ terrestre) de Vangelis se décline à 0.39 Et puis vint la séquence reine de l'album, "Sunlight": une fontaine de jouvence où la beauté du rayonnement solaire est exprimée au comble de sa majesté. Du bonheur pur. Au point que j'en oublie le reste de l'album; sauf "Return to the Void", séquence surprenante où Vangelis semble nous rappeler que nous ne sommes que des constellations éphémères dans l'espace.
Vangelis: 73 ans, plus de 50 albums originaux et toujours transmettre à son public cette impression d'auditeur étonné. Est-il possible de concevoir un tel dynamisme créatif qui se perpétue avec le temps? Avec Rosetta, Vangelis n'a pas seulement franchi la barrière du son cosmique, mais celle de l'invisible. Il atteint l'infranchissable souveraineté de l'expression musicale. Il rejoindrait bien Champollion, courbé sur sa pierre de Rosette, dans cette éternelle quête de l'innovation. Champollion serait certes surpris de connaître Philae, l'attérisseur "intime" de Rosetta, Osiris, sa caméra principale ainsi que Ma'at, sa" zone de crash" sur la comète Tchouri. Vangelis franchit les barrières de l'éternité avec gravité et surtout avec grâce. On reste souvent muet devant ce foisonnement de sens; ce foisonnement de sons. L'aventure de Rosetta ainsi exprimée, elle incarne la majesté dans la grâce.
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Alex Caire
Extrait- Le Temps perpétuel- 2016
* Rosetta- Vangelis / Decca-2016 (Multisupport)
Si le Portugal est aujourd'hui sur toutes les lèvres, ce n'est pas seulement grâce à son équipe de football qui est devenue Championne d'Europe 2016, décrochant la toute première médaille d'or de son histoire; mais parce qu'elle l'a faite dans la dignité et dans l'humilité, en battant la France, chez elle, au Stade de France. Pourtant, la dernière victoire du Portugal face à la France remonte à 1975. Pendant toute cette période, la France a triomphé du Portugal 10 fois. Des chiffres qui poussent plutôt à l'humilité.
Grand pays du football, patrie d'Eusebio, de Figo et de l'inévitable Cristiano Ronaldo, le Portugal a traversé cette compétition avec dignité, mais surtout avec humilité. Pourtant la France, entre favoritisme, chance et vantardise bien gauloise,échoua, en finale, à quelques centimètres du poteau du goal portugais qui a sauvé son équipe à maintes reprises décisives. Le France a pêché par orgueil, comme à son habitude, lors des grandes échéances, surtout celles qu'elle organise chez elle. Gagner en 2016, après 1984 et 1998, n'avait nullement valeur de prescription ni de fatalité. Bien de failles ont été constatées lors des premiers matchs de l'équipe de France: défense fragile, milieu hésitant, attaque disproportionnée eu égard aux compétences réelles des titulaires. La France a réussi à se qualifier pour la finale grâce au travail de son coach, à des talents individuels, remarquables certes mais pas assez suffisants pour former une grande équipe; et n'oublions pas, grâce à une dose de favoritisme et des complaisances arbitrales lors du match France/Allemagne. Ce patchwork ne saurait forger un champion d'Europe. Par contre, le Portugal est entré, avec dignité et beaucoup d'humilité, dans l'histoire du football mondial. L'équipe portugaise n'a finalement pas eu besoin de génie. Son travail, sa dignité et son humilité l'ont portée vers l'éternité, sur les pas de Pessoa.
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Extrait
Le Temps perpétuel