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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 22:26

 

 

 Ce jour du 5 février, il y a vingt ans, la mère de mes deux enfants a eu une idée  saugrenue, vue ma trépidante vie à cette époque : m’offrir un stylo Mont-Blanc, le jour même de mon anniversaire. La surprise m’a ravie. Elle me reprochait, à juste titre, de ne savoir tenir que le verre et la plume. Question verre, le temps s’est chargé de la régler. Quant à la plume,  mon ex ne savait pas que cet objet allait devenir la clé de toute une destinée : la littérature et ses affres, comme se plait à répéter Annie Ernaux que j’intronisais déjà en 1992 en tant qu’unique marraine littéraire. Elle l’est toujours, bien que mon inspiration avait  été prise en otage par Albert Camus depuis 1974.  J’estimais que ce bel objet n’allait tout de même  pas dormir dans un tiroir ou s’accrocher à ma veste lors des réceptions inutiles auxquelles ma fonction semi diplomatique d’ornement de salon1 m’appelait à participer. Ainsi, je me suis attelé à préparer les quelques 14 versions manuscrites qui ont servi de base à mon premier recueil de poèmes, Insolent. Combien de ratures et d’acrobaties stylistiques a pu griffonner cette pièce de collection ? Je l’ignore. Quatre ans plus tard, j’ai découvert les joies du clavier de mon premier ordinateur et mon stylo retrouva sa noble place de scribe à dédicaces dans les rares fois où je me suis soumis à cet exercice flatteur pour mon amour propre, quoiqu’indécent pour la poésie qui devrait être transmise, offerte et non  pas vendue, question de principe d’héritage  culturel. Je continue à croire que la Poésie est le seul art majeur qui se mérite, puisque qu’il a façonné bien de destinées humaines. Le lieu n’étant guère approprié pour des rappels historiques ou pour relater le bonheur ou la douleur de cette mystérieuse perdition, la création poétique, je tenterai de raconter l’histoire d’une rencontre passionnée d’un autre genre qui dure justement depuis vingt ans, une rencontre fort improbable avec une dame de 184 ans. Un instant, dirais-je, un clignotement de paupière, une goute d’eau dans l’océan du temps, vu d’un égyptien. 

 

En juin 1993, je croise la Revue des deux mondes dans un rayon d’une librairie genevoise.  Surprise et enchantement. Je me disais au début : « encore un magazine format livre, genre Esprit, illisible compilation de concepts pompeux, pensais–je,  à l’instar de Coopération internationale ou Journal du Tiers Monde ». Le genre de publications qui s’accumulaient au tournant de chaque mois sur mon bureau, auxquelles je ne prêtais l’attention que forcé, afin de  rester au courant ou au moins le paraître lors des cérémonies de service et encore. La surprise céda rapidement sa place à l’enchantement à la lecture des articles de Jean Orizet, un grand monsieur qui est entré en poésie comme on entre en religion, écrivit-il. Et voilà que s’ouvrait devant moi la boite de Pandore. Sans réfléchir et à la manière de ce cher Obélix, je me suis laissé tomber dedans. Mais à la différence d’Obélix, je n’étais pas si petit que ca: j’avais 40 ans, une fureur de vivre intacte, des illusions vivaces et surtout une belle et futile vanité bien ancrée. Au bout de quelques années et après des recherches assidues, la persévérance n’étant pas l’apanage de l’amoureux transi mais aussi celui du lecteur assidu, ma vision de la poésie, et de la vie, fut transformée. Comme je croyais ferme à la suprématie de la rhétorique arabe, j’ai découvert au fil des années l’étrange complémentarité, souvent secrète et à peine perceptible, entre la langue de Montaigne et celle d’Al-Mustanabbî. Un long voyage s’annonçait plein de découvertes : Alain Bosquet, Hölderlin, Char, Bataille, Verlaine, Mallarmé redécouvert sous d’autres aspects, Victor Segalen l’homme perpétuel, l’inimitable Philippe Murray, Gide, Paulhan, Kafka, Venise l’essentielle,  Saint-John Perse contredit et débattu en Orient, Nerval en Egypte et, errant,  vers la fin de sa vie, Delacroix chroniqueur, Napoléon 1er empereur des français et recordman des articles écrits, Chateaubriand, l’humanisme et j’en passe. La lecture de la Revue n’étant pas une fin en soi, mais plutôt un tiroir à casiers multiples, la recherche imposait une réflexion critique, un questionnement qui enrichit mais tourmente à la fois. Se nourrir et murir à la fois. Une vie dans la vie.

 

 J’apprenais à aborder la poésie par sa dimension critique et par sa capacité de révéler l’humain et non seulement par sa puissante évocation des sentiments, instrument critique indispensable pour tout lecteur arabophone.  La poésie étant le début et la fin de toute littérature fondamentale, je me trouvais confronté  à la face cachée de la création, au sombre abime du destin des hommes éphémères: l’incommunicabilité, la guerre des cultures, l’exil, la solitude, l’indifférence, la foi, l’intolérance, l’absurde revisité, l’exaltation et la douleur qui forgent l’expression. La finitude. Bien que mes livres Verdict et Souveraine vécurent  mes deuxièmes noces de papier avec la littérature occidentale, ils ont été conçus dans le tourment conscient mais ravi d’un homme résolu à s’exprimer différemment. Retrouver ma voie, se retrouver et retrouver l’autre par l’écriture, la scène, essayer de vivre en faisant revivre ce qui a été écrit, la poésie étant aussi l’art de la perpétuelle évolution.

 

Ainsi l’Entretemps, tel décrit par Jean Orizet me mena à cette conception personnelle de le vie et de la littérature, le Temps perpétuel : un moment unique de plénitude, de bonheur ou d’émotion partagée qui se perpétue, par la magie de la similitude ou de la ressemblance des rencontres, des lieux ou de l’espace  pour finir par constituer le Temps perpétuel propre à chacun. Le temps étant là, implacable, avant nous, il se perpétuera inéluctablement après nous, les éphémères. Ainsi la Revue des deux mondes, la « Revue » pour les intimes ou R2M, sigle qui sied à cette dame qui  croisa 3 siècles pour devenir une institution, qui publia Balzac se perpétue parfaitement en phase avec l’ère de l’énergie nucléaire, des technologies de l’information et de la transformation du monde. Un rare instant du Temps perpétuel.  

  

Alex Caire **

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1) Clin d’œil à l’œuvre d’Albert Cohen qui excelle dans l’art de disséquer la fonction civile internationale  notamment à travers son livre Belle du Seigneur qui évoque la futilité de certains fonctionnaires internationaux au sein de la Société des nations, ancêtre des l’Organisation des Nations Unies. L’auteur de ces lignes y a servi pendant plus de vingt ans

 

*    Extrait du Temps perpétuel – Alex Caire - 2013

** Poète, éditeur francophone d’origine égyptienne, auteur de Insolent-1994, Verdict-1996, Souveraine-1997, Sérail -2011 et le Temps perpétuel, en chantier

 

 

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