L'Inquiet, première partie du film fleuve, pas très tranquille, de Miguel Gomes, réalisateur portugais de son état
Shahrazad raconte les inquiétudes qui s'abattent sur le pays : « Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays où l'on rêve de baleines et de sirènes, le chômage se répand. En certains endroits la forêt brûle la nuit malgré la pluie et en d'autres hommes et femmes trépignent d’impatience de se jeter à l'eau en plein hiver. Parfois, les animaux parlent, bien qu’il soit improbable qu’on les écoute. Dans ce pays où les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être, les hommes de pouvoir se promènent à dos de chameau et cachent une érection permanente et honteuse ; ils attendent qu’arrive enfin le moment de la collecte des impôts pour pouvoir payer un dit sorcier qui… ». Et le jour venant à paraître, Shahrazad se tait.
Il aura fallu attendre 89 minutes (sur 127, la durée du film) pour suivre les premières notes de Korsakov en visionnant ces étranges paysages gris néanmoins banales de la vie au Portugal de nos jours: pauvreté, rage silencieuse, impuissance et surtout mélancolie ruisselant comme des eaux de pluie. Port de Lisbonne a l'aune d'une aube morne, dockers et badauds attendant du travail , hangar ou des voisins ne font que discuter autour d'un coq qui chante surtout la nuit , vendanges sous la pluie, des pompiers qui s'agitent, des champs ravagés par les incendies; ces feux qui ravagent tout sous un ciel gris, malgré un arc en ciel a l'horizon, un bateau qui navigue sur le Douro, suivi d'un autre, au rythme de la musique de Korsakov qui s'anime, entre autres monologues a mourir d'ennui ...
(Que font les portugais, au fait, dans ce film (dans la vie) à part discuter ?)
Une scène loufoque mais probablement la seule a dire long sur l'état du pays. Le Premier ministre portugais peine, son équipe à l'appui, a s'entendre avec une délégation de créanciers qui ne veulent rien savoir, à part faire payer leur débiteur. Un africain surgit de nulle part, parlant français uniquement, un sac de jutte sur la tête , tenant une faucheuse en forme de branche d'arbre moisie. Il leur suggère qu'ils sont tous devenus impuissants à force de bidouiller de la politique et qu'ils peinent à satisfaire leurs femmes. En guise de remède, il leur offre un spray à vaporiser sur leurs parties intimes. Ainsi tous les hommes sont pris d'une crise de priapisme aigu pendant des heures; une crise qui ne paraissait pas prête de s'estomper. Le mage africain disparaît. Aucune antidote n'est trouvée. Cherchez le symbole !
Il serait vain voire hors de propos de rapprocher ce film du merveilleux film de Raul Ruiz, "Mystères de Lisbonne" (2010) ou de son chef d'œuvre "Le Temps retrouvé" (1998); bien que certains plans de Gomez font penser à son illustre prédécesseur.
Mosaïque d'images et de situations qui défilent a un rythme quasi documentaire. Chercher lePortugal qui nous a habitué à sa version carte postale? A mille et un lieux de ce film ( ce n'est que la première partie, "l'Inquiet" ) qui se veut poétique bien que trop collé à la réalité âpre de tous les jours ...
Pour un inquiet, c'est plutôt un inquiet cool, flasque, à la portugaise. Attendons plutôt la suite, mon cher Marcel**; à savoir "Le désolé" et "L'enchanté",tout un programme ..en Lusitanie.
Alex Caire
------------- Extrait - Le Temps perpétuel
* Mille et une nuits - l'Inquiet ( Première partie ) - Film de Miguel Gomes - 2015. Le film dans son intégralité a été présenté à la "Quinzaine des réalisateurs" du Festival de Cannes
** Marcel Proust, écrivain français, auteur de " A la recherche du temps perdu"