Le 5 juillet 2016, veille du souvenir du décès de Joaquin Rodrigo, le disquaire La Quinta de Mahler à Madrid présentait une version de certaines des oeuvres du génie espagnol: Fantasía para un gentilhombre, el Concierto para una fiesta ainsi que l'inévitable el Concierto de Aranjuez, le tout gravé sur un nouveau disque du jeune guitariste espagnol, Pablo Sáinz Villegas, accompagné par l'Orchestre national d'Espagne**
Existe-t-il un quelconque hasard à célébrer Rodrigo chez Mahler ? Aucun. Et si Mahler ouvrait la porte de l'éternité à Rodrigo; l'un et l'autre faisant partie de notre émotionnel collectif à travers les temps?!!
La musique de Gustave Mahler est traversée par une multitude d'émotions, de la pure sérénité aux abîmes de l'infinie tristesse. Elle touche l'universel par le biais de l'expression individuelle de la passion, du regret, de la perte. Cependant, elle rejoint la musique de Rodrigo dans ce que cette dernière exprime dans toute sa splendeur: l'expression du sentiment individuel dans son rapport à l'espace, à l'endroit, au temps qui s'enfuit ,nous laissant une trace de nostalgie qui nous lie au moment présent. Deux mondes qui se rejoignent, pour notre bonheur? Faudrait le croire!
Mahler exprime une individualité hors pair faite d'émotion, de regret et de réflexion. Rodrigo place son émotion au cœur d'une déclaration universelle d'amour à la personne aimée, à l'endroit, à la famille, au pays. Mahler touche au romantique pur, à l'homme, seul, face au monde. Rodrigo célèbre l'homme, entouré par une variété d'émotions musicales, en harmonie avec le monde, embrassant ce dernier. Mahler, le solitaire;Rodrigo l'humain pluriel. Mahler ouvre la porte à Rodrigo? Que du bonheur, musical ! Penser à Mahler en écoutant Rodrigo. Une beauté insoupçonnée...
Souligner cette singulière complémentarité entre deux musiques, deux mondes qui n'étaient pas sensés se rencontrer. Aucune étude digne de ce nom n'a encore été effectuée sur la dynamique lyrique de la musique de Rodrigo, riche de leçons d'expression, de retenue et de contrastes. Tout le contraire pour Mahler. Il suffit de se tourner vers Rodrigo le Castillan dans ses premières oeuvres pour s'acheminer vers Rodrigo l'Andalou, bien avant la seconde partie de sa vie. Rodrigo le méticuleux, le concis, le précis de ses premières oeuvres pour piano et violons qui évolue vers Rodrigo le fastueux, le généreux et l'émotionnel, dans ses oeuvres pour guitare,harpe, flûte et orchestre et j'en laisse certes échapper plusieurs autres facettes musicales .Mahler, par contre, oui. Il suffit de revoir le Chef d'œuvre de Luchino Visconti, Mort à Venise (1971) d'après l'œuvre de Thomas Mann pour bien apprécier l'œuvre de Mahler; la Quinta ... en espagnol.
J'ai beaucoup regretté, à titre personnel, que la musique de Rodrigo ne soit pas utilisée par le regretté Raoul Ruiz pour son film, le Temps retrouvé (1998). Une autre sublime rencontre, mais hélas ratée.... Retrouver le Temps pour parvenir à mieux le raconter, toute la destinée de l'Art est là.
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* Extrait du Temps perpétuel -Alex Caire-2017
** La Orquesta y Coro Nacionales de España presenta el cuarto lanzamiento de su sello discográfico, dedicado en esta ocasión a los conciertos para guitarra de Joaquín Rodrigo, interpretados por el guitarrista Pablo Sáinz Villegas y la Orquesta Nacional de España dirigida por Juanjo Mena. El CD incluye el Concierto de Aranjuez, la Fantasía para un gentilhombre y el Concierto para una fiesta