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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 13:52

http://medseib.mondoblog.org/files/2013/07/2013-01-25-egypte1.jpg

 

"L'Egypte, entre deux avenirs" est dédié à l'âme et au souvenir du cinéaste Youssef Chahine, réalisateur, entre autres, de "l'Aube d'un jour nouveau" ( 1964)

 

 

Étrange coïncidence. Le musée Jacquemart-André à Paris a clôturéson exposition, le Crépuscule des Pharaons, le 23 juillet 2012, jour  de la célébration en Égypte de la révolution des officiers libres de 19521.

 

Quel sens a porté pendant ces deux dernières années une date si chargée de symboles ? L’Égypte a attendu presque 60 ans pour mener sa deuxième révolution qui, à la différence de celle de 1952, porta au pouvoir Mohamed Morsi, membre de la confrérie des Frères musulmans, sous l’œil plus que circonspect des militaires qui ont partagé ce pouvoir avec lui.

 

Quelle révolution ?

Une fois les dés jetés, diverses franges du peuple égyptien redoutaient le nouveau régime, à commencer par les coptes qu'il ne faudrait minorer l’importance, tant qu'ils représentent 12% de la population de ce pays qui compte environ 84 millions d’âmes. Des intellectuels, pour ne pas dire des libéraux, et parmi eux nombre d'artistes, quittèrent le pays. Les médias officiels se faisaient rassurants bien que sur la toile plusieurs sites décortiquaient faits et gestes du frère Morsi qui, faute d’initier un plan d’action concret, entama son mandat par amadouer l’Arabie saoudite, l’Iran et le Hamas. La presse, les médias locaux et quelques médias internationaux commentèrent l’évolution de la situation qui n'occultait guère le gouffre économique où gît le pays. Le niveau des réserves de la Banque centrale égyptienne est passé de 36% à 15% en une seule année. Et la Révolution continua.

 

Quelle révolution ? Et ces millions d'enfants et d'exclus qui attendent toujours un traitement médical décent, un salaire pour le moins correct ou une éducation scolaire non frelatée par la corruption, avaient-ils besoin d'une révolution permanente ? Qui les aide ? Je ne crois pas que les ONG gérées par quelques midinettes de la bourgeoisie égyptienne du Jazzera Club du Caire ou les projets caritatifs de quelques privilégiés allègent la souffrance du vrai peuple. Il  serait ridicule de suivre les débats, dits contradictoires, de la chaîne Al’Jazira, sachant que nombre de mouvements radicaux en Égyptesont financés par le Qatar ! Et les femmes ? Sont-t-elles sorties travailler et participer à la vie du pays ou sont-t-elles restées confinées dans le rôle de gardiennes voilées de familles  nombreuses ?

 

Quel débat ?

 

Le moment est venu pour se demander quel avenir aura l'Égypte dans les quelques années à venir dans le cadre d'un débat crédible qui proposerait  des solutions réalisables. Le nombre de problématiques qui cernent le pays est en soi accablant. Quant commencera la reconstruction ? Ouvrir les chantiers vitaux, quitte à nettoyer des plaies qui saignent toujours !

 

Àcommencer par la nouvelle Constitution et les libertés citoyennes, les oulémas n’avaient point de compétence pour rédiger un tel document crucial. Leur opinion n’avait qu’une valeur indicative, puisque l’Égypte est un pays multiconfessionnel. Cette tâche incombera toujours  aux juristes qui sont au fait des vrais problèmes. Quant à la liberté des cultes, il faudrait se référer à la situation d’avant 1952 pour prendre la mesure de la situation. Vient ensuite le rôle des militaires, 40% de l’économie locale. Leur mission de cordon sécuritaire est inévitable. Le gouvernement actuel souffrira d’une longue et délicate cohabitation  jusqu’à l’application de la nouvelle constitution et la tenue des futures élections. Le bilan de la santé publique est catastrophique. Les cliniques privées qui ont pignon sur rue excluent davantage des populations déjà marginalisées par la pauvreté et par le chômage. Construire de nouveaux centres médicaux publics est indiscutable. L’argent ne manquerait pas si le gouvernement imposait une taxe sur les banques d’investissement et les agences de change. Il suffirait que le secteur privé y participe. Quant au bilan  de l’éducation nationale, il n’est guère brillant ; 30 pour-cent de la population ne sachant ni lire ni écrire. 

 

Que nous dira Alaa Al'Aswani2 avec sa perpétuelle verve révolutionnaire qui rappelle un militant de gauche des années soixante ? Où se trouve Boutros Boutros Ghali3 et pourquoi garde-t-il le silence, comme d'ailleurs nombre d'égyptiens  vivant à l’étranger ?Àpart ses déclarations d’intérêt général, Farouk El’Baz4ne propose rien de nouveau, lui qui avait énuméré des priorités d’action depuis une quinzaine d’années? Suffirait-t-il d'honorer un cinéaste égyptien au Festival de Cannes de 2012 pour prétendre que le courant postrévolutionnaire France-Egypte passe toujours quand on devine le silence du pouvoir socialiste en France et le prestige dont jouit la présence culturelle française enÉgypte? Youssri Nasralla5 n’est pourtant pas Youssef Chahine6 qui a passé la moitié de sa vie à guerroyer avec la censure d’état tant ses films sont frappants d’une vérité que personne ne voulait voir en face. Chahine le visionnaire ne pratiquait ni de collage ni de superposition de scènes pour faire vrai.

 

 

Des signes d’espoir

 

L’héritage de l’ère Moubarak est certes lourd de conséquences pour l’avenir d’un pays qui n’a pratiqué l’exercice démocratique que récemment et dans la douleur. L’inertie bureaucratique, la résistance au changement et la corruption sont des maux bien ancrés dans la vie quotidienne. Cependant, un point d’honneur distingue ce pays, l’absence de la fibre sanguinaire dans la personnalité égyptienne profonde ; à savoir cette faculté innée de patienter face à l’adversité, de réfléchir et d’éviter  le recours systématique à la réparation de l’injustice par le sang. Il suffit pour s’en convaincre de suivre les réalités de la rue en Iraq ou en Syrie pour constater que la scène dudit Printemps arabe n’a produit que le chaos et la montée des extrémismes ; même si la Tunisie et la Lybie entrevoient à peine le chemin de la pacification sociale. Il ne suffit pas de se révolter pour détruire mais se révolter pour ériger un lendemain décent et viable.

 

Une issue salutaire existe, le concordat social. Un effort  constant pour informer et persuader la conscience égyptienne que les urgences du pays passent avant une personnalité, une autorité ou un parti politique donné: la santé, l'éducation, l'industrie à restaurer, la lutte contre le désertification, les défis de l’eau, l’équilibre des forces dans une région agitée, le cordon sécuritaire que maintient l'armée et surtout la paix sociale qui concerne la société toute entière. Il  ne sert à rien de secouer le drapeau de l'Islam qui résoudrait tout. Le problème n'est pas celui de la foi mais celui de la capacité de tout égyptien à se relever et travailler au lieu de détruire et brûler. Se regarder en face, regarder le monde autour de soi et agir. Un plan d’action, pas des luttes de pouvoir qui rappellent  les incidents d'Alexandrie de 19547!

 

L’Égypte parviendra-t-elle à éviter un crépuscule prévisible ou serait-t-elle à l’aube d’une ère porteuse d’espoir ? L’Islam ne serait la seule solution de l’Égypte du XXIème siècle. Le gouvernement de Morsi a agi avec la légendaire ambiguïté des Frères. Le peuple l’a attendu au tournant ; mais Morsi n’a pas encore répondu des ces actes. La révolution a aggravé une situation déjà désastreuse. Le peuple attend toujours des solutions.

 

 

Et maintenant, presque 3 ans après ?

 

L’Egypte aurait-t-elle un avenir ? Et quelles seraient les perspectives de cet avenir vue sa conjoncture actuelle ?

 

Le régime de Morsi n’a-t-il pas raté sa mission, pourtant urgente, de  garantir le pain, la sécurité, l’emploi, l’éducation et le traitement médical à l’égyptien de base, broyé par la misère et le désespoir ? A cette question, le peuple égyptien a donné une réponse sans appel en déposant Morsi, pourtant venu au pouvoir par les urnes, livrant du même coup les clés à l’armée avec l’avènement du gouvernement transitoire actuel. L’armée, revenue en force au cœur de la crise, a fait preuve d’une prudente maturité dans ce climat de tension sociale et de chaos économique. Comme l’heure n’est plus à l’autocratie mais plutôt à la consultation, il  est devenu évident que le temps du général Al’Sissi ne serait plus celui, révolu, de Gamal Abdel Nasser et que le rôle de l’armée ne serait limité à maintenir l’ordre et pourchasser les criminels, se substituant ainsi à celui des forces de l’ordre.  

 

Ainsi, est il désolant de constater que la colère populaire qui a engendré la révolution de janvier 2011 et sa suite de juillet 2013 trouve encore toute sa raison d’être avec l’amenuisement de l’expression démocratique, l’effondrement des systèmes de la santé, de l’éducation et du logement populaire, le déclin du tourisme ainsi que le tarissement des ressources  avec le gel des grands investissements et la paralysie du secteur immobilier. Désemparés suite à l’internement de leurs dirigeants qui a suivi  la violence qui régna dans le pays après l’arrestation de Morsi, les Frères musulmans gardent le silence. L’Egypte affronte un phénomène inédit depuis 1919 : le départ de centaines de familles coptes cherchant refuge et sécurité à l’étranger. Un phénomène inquiétant qui contraste avec la nature historiquement tolérante du peuple égyptien.

 

Malgré les apparences d’un retour à la normalité, force est de constater que le pays traverse toujours un passage délicat de son histoire ; ce qui impose à tous les égyptiens la valeur capitale du dialogue et surtout la vertu d’admettre les critiques constructives afin d’extirper le pays de cette situation et parvenir par la suite à élaborer un projet pour son avenir dans ce siècle chargé de tensions à tous les niveaux. Je suis convaincu que davantage de confiance devrait être  accordée à la jeunesse égyptienne ; comme l’avenir de la paix sociale en Egypte dépend avant tout du règlement du conflit religieux et juguler l’extrémisme. L’Egypte a besoin plus que jamais de la reconnaissance de la valeur de tous les égyptiens et non au recours à la violence pour faire  prévaloir une opinion sur une autre. Que fera la jeunesse égyptienne afin que sa révolution ne soit reléguée aux yeux de l’histoire au rang de simple révolte; à moins que le 25 janvier 2011 ne deviendrait un simple jour férié comme le 23 juillet 1952 ? L’histoire nous le dira.

 

Ahmed Hamouda *

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1) Commandant des officiers libres, le général Mohamed Naguib mit fin le soir du 23 juillet 1952 au règne de Farouk 1er, roi d’Égypte, à la suite de quoi la Première république d’Égypte fut proclamée

2) Alaa Al’Aswani, romancier égyptien, auteur du best-seller l’Immeuble Yacoubian qui fut porté à l’écran égyptien et connut un  grand succès

3) Boutros Boutros Ghali, éminent diplomate égyptien, ancien Secrétaire général de l’ONU, ancien Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie après avoir été Ministre d’État des Affaires étrangères sous Anouar El-Sadate

4) Farouk El’Baz, scientifique américano-égyptien  et éminent géologue de l’espace

5) Youssri Nassralla, cinéaste égyptien

6) Youssef Chahine, grand cinéaste égyptien, Palme d’or du Festival de Cannes 1997

7) Lors d'une réunion politique en Alexandrie en 1954, des coups de feu ont été tirés dans la direction de Gamal Abdel Nasser, fraîchement élu Président de la République égyptienne au lendemain de la révolution des officiers libres en juillet 1952. Une vague d'arrestation et de séquestration arbitraire s'en suivait parmi les rangs des Frères musulmans, à la suite de quoi une interdiction formelle de ce mouvement a été décidée. Aucune preuve n'a été établie à ce jour prouvant l'implication de ce mouvement  dans cet attentat.

 

* Poète, éditeur francophone d’origine égyptienne, ancien diplomate onusien

 

 

 

 

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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 22:26

 

 

 Ce jour du 5 février, il y a vingt ans, la mère de mes deux enfants a eu une idée  saugrenue, vue ma trépidante vie à cette époque : m’offrir un stylo Mont-Blanc, le jour même de mon anniversaire. La surprise m’a ravie. Elle me reprochait, à juste titre, de ne savoir tenir que le verre et la plume. Question verre, le temps s’est chargé de la régler. Quant à la plume,  mon ex ne savait pas que cet objet allait devenir la clé de toute une destinée : la littérature et ses affres, comme se plait à répéter Annie Ernaux que j’intronisais déjà en 1992 en tant qu’unique marraine littéraire. Elle l’est toujours, bien que mon inspiration avait  été prise en otage par Albert Camus depuis 1974.  J’estimais que ce bel objet n’allait tout de même  pas dormir dans un tiroir ou s’accrocher à ma veste lors des réceptions inutiles auxquelles ma fonction semi diplomatique d’ornement de salon1 m’appelait à participer. Ainsi, je me suis attelé à préparer les quelques 14 versions manuscrites qui ont servi de base à mon premier recueil de poèmes, Insolent. Combien de ratures et d’acrobaties stylistiques a pu griffonner cette pièce de collection ? Je l’ignore. Quatre ans plus tard, j’ai découvert les joies du clavier de mon premier ordinateur et mon stylo retrouva sa noble place de scribe à dédicaces dans les rares fois où je me suis soumis à cet exercice flatteur pour mon amour propre, quoiqu’indécent pour la poésie qui devrait être transmise, offerte et non  pas vendue, question de principe d’héritage  culturel. Je continue à croire que la Poésie est le seul art majeur qui se mérite, puisque qu’il a façonné bien de destinées humaines. Le lieu n’étant guère approprié pour des rappels historiques ou pour relater le bonheur ou la douleur de cette mystérieuse perdition, la création poétique, je tenterai de raconter l’histoire d’une rencontre passionnée d’un autre genre qui dure justement depuis vingt ans, une rencontre fort improbable avec une dame de 184 ans. Un instant, dirais-je, un clignotement de paupière, une goute d’eau dans l’océan du temps, vu d’un égyptien. 

 

En juin 1993, je croise la Revue des deux mondes dans un rayon d’une librairie genevoise.  Surprise et enchantement. Je me disais au début : « encore un magazine format livre, genre Esprit, illisible compilation de concepts pompeux, pensais–je,  à l’instar de Coopération internationale ou Journal du Tiers Monde ». Le genre de publications qui s’accumulaient au tournant de chaque mois sur mon bureau, auxquelles je ne prêtais l’attention que forcé, afin de  rester au courant ou au moins le paraître lors des cérémonies de service et encore. La surprise céda rapidement sa place à l’enchantement à la lecture des articles de Jean Orizet, un grand monsieur qui est entré en poésie comme on entre en religion, écrivit-il. Et voilà que s’ouvrait devant moi la boite de Pandore. Sans réfléchir et à la manière de ce cher Obélix, je me suis laissé tomber dedans. Mais à la différence d’Obélix, je n’étais pas si petit que ca: j’avais 40 ans, une fureur de vivre intacte, des illusions vivaces et surtout une belle et futile vanité bien ancrée. Au bout de quelques années et après des recherches assidues, la persévérance n’étant pas l’apanage de l’amoureux transi mais aussi celui du lecteur assidu, ma vision de la poésie, et de la vie, fut transformée. Comme je croyais ferme à la suprématie de la rhétorique arabe, j’ai découvert au fil des années l’étrange complémentarité, souvent secrète et à peine perceptible, entre la langue de Montaigne et celle d’Al-Mustanabbî. Un long voyage s’annonçait plein de découvertes : Alain Bosquet, Hölderlin, Char, Bataille, Verlaine, Mallarmé redécouvert sous d’autres aspects, Victor Segalen l’homme perpétuel, l’inimitable Philippe Murray, Gide, Paulhan, Kafka, Venise l’essentielle,  Saint-John Perse contredit et débattu en Orient, Nerval en Egypte et, errant,  vers la fin de sa vie, Delacroix chroniqueur, Napoléon 1er empereur des français et recordman des articles écrits, Chateaubriand, l’humanisme et j’en passe. La lecture de la Revue n’étant pas une fin en soi, mais plutôt un tiroir à casiers multiples, la recherche imposait une réflexion critique, un questionnement qui enrichit mais tourmente à la fois. Se nourrir et murir à la fois. Une vie dans la vie.

 

 J’apprenais à aborder la poésie par sa dimension critique et par sa capacité de révéler l’humain et non seulement par sa puissante évocation des sentiments, instrument critique indispensable pour tout lecteur arabophone.  La poésie étant le début et la fin de toute littérature fondamentale, je me trouvais confronté  à la face cachée de la création, au sombre abime du destin des hommes éphémères: l’incommunicabilité, la guerre des cultures, l’exil, la solitude, l’indifférence, la foi, l’intolérance, l’absurde revisité, l’exaltation et la douleur qui forgent l’expression. La finitude. Bien que mes livres Verdict et Souveraine vécurent  mes deuxièmes noces de papier avec la littérature occidentale, ils ont été conçus dans le tourment conscient mais ravi d’un homme résolu à s’exprimer différemment. Retrouver ma voie, se retrouver et retrouver l’autre par l’écriture, la scène, essayer de vivre en faisant revivre ce qui a été écrit, la poésie étant aussi l’art de la perpétuelle évolution.

 

Ainsi l’Entretemps, tel décrit par Jean Orizet me mena à cette conception personnelle de le vie et de la littérature, le Temps perpétuel : un moment unique de plénitude, de bonheur ou d’émotion partagée qui se perpétue, par la magie de la similitude ou de la ressemblance des rencontres, des lieux ou de l’espace  pour finir par constituer le Temps perpétuel propre à chacun. Le temps étant là, implacable, avant nous, il se perpétuera inéluctablement après nous, les éphémères. Ainsi la Revue des deux mondes, la « Revue » pour les intimes ou R2M, sigle qui sied à cette dame qui  croisa 3 siècles pour devenir une institution, qui publia Balzac se perpétue parfaitement en phase avec l’ère de l’énergie nucléaire, des technologies de l’information et de la transformation du monde. Un rare instant du Temps perpétuel.  

  

Alex Caire **

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1) Clin d’œil à l’œuvre d’Albert Cohen qui excelle dans l’art de disséquer la fonction civile internationale  notamment à travers son livre Belle du Seigneur qui évoque la futilité de certains fonctionnaires internationaux au sein de la Société des nations, ancêtre des l’Organisation des Nations Unies. L’auteur de ces lignes y a servi pendant plus de vingt ans

 

*    Extrait du Temps perpétuel – Alex Caire - 2013

** Poète, éditeur francophone d’origine égyptienne, auteur de Insolent-1994, Verdict-1996, Souveraine-1997, Sérail -2011 et le Temps perpétuel, en chantier

 

 

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17 septembre 2012 1 17 /09 /septembre /2012 21:26

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le couloir étroit de la grandeur musicale gisent quelques compositeurs de génie: Rodrigo, Rachmaninov, Mahler, Wagner et quelques autres conducteurs d’orchestre fous, tous morts, savourant leur gloire et les milliers de reprises que perpétuent en leur mémoire les grands orchestres à travers le monde, dans des salles de musée appelés salles de concert, tandis qu’il existe un géant grec, vivant, que demain attend avec impatience :Vangelis. 

 

Vangelis vient de signer en mai  2012 une relecture de son hymne à la grandeur sportive de tous les temps, Chariots Of Fire. Jamais Hugh Hudson qui réalisa le film éponyme en 1981 ni l’Angleterre ne pourraient rêver à cette époque d’un impact universel si percutant ni d’une telle gloire musicale planétaire. Il est vrai que Vangelis remporta un oscar pour sa bande originale de la musique du film et que son thème principal de 1981, Titles, a été l’hymne d’un nombre inouï d’événements sportifs et d’autres de foire également,  faisant le bonheur des éditeurs du disque et l’objet de plusieurs rééditions.

 

Le film narre l’exploit de deux sportifs anglais pendant les jeux olympiques de 1924 à Paris, Eric Lidell  et Harold Abrahams que tout les sépare. Abrahams court pour la gloire tandis que Lidell court pour Dieu. Hors stade, les deux athlètes conquièrent l’éternité et la reconnaissance de leur pays et du monde sportif, mais reste l’émotion de les voir sur écran courir, douter, tomber, se relever, gagner pour courir encore, pour l’honneur ou pour  la foi .Qu’importe le motif qui les anima, seul l’impact de leur volonté demeure gravé dans les mémoires. Cet impact se décline, souverain, à travers  la musique de Vangelis. Le film remporta un succès bien mérité en son temps et demeure une référence de taille pour le cinéma britannique. Je laisse l’analyse cinématographique aux spécialistes, persuadé que je suis que ce film sans cette musique aurait un autre destin.

 

Musique visuelle, tout l’élan humain y prend forme. L’espoir, la persévérance, la foi et la rage de vaincre qui seraient vains sans la déception de l’échec, le doute. Vangelis se plonge dans le mystère humain pour nous décrire l’infinitude de cet élan indescriptible. 31 ans après sa première version, il confirme son talent rare, comble aussi notre plaisir d’admirer ces chariots de feu qui se disputent une gloire éphémère certes mais o combien porteuse d’exemple pour les hommes. Force est de constater que cette refonte musicale a été conçue à l’occasion de la présentation à Londres de Chariots Of Fire The Play1, la pièce de théâtre qui fait écho au film avant, pendant et après  les récents Jeux olympiques de Londres. Vangelis choisit de doter son oeuvre d’une orchestration plus dense,  plus riche en percussion, en arrangements et en sonorités. 

 

Les puristes et les inconditionnels de Vangelis semblent avoir salué puis boudé cette œuvre  depuis sa création.  Au mieux l’ont–ils relégué au rang d’icône célèbre. Ils ont eu tort.  Vangelis a étonné le monde avec plus de 70 créations originales pour la scène, le film et le disque depuis 1962, lui l’enfant prodige de cette Grèce si lointaine des Forminx, d’Irène Papas et des Aphrodite’s Child et j’en passe. Qu’ils soient rassurés. Mythodea2, El Greco3, Alexander4, Rhapsodies5, Private Collection6 et surtout Blade Runner7 demeurent des moments musicaux inoubliables, pour ne citer que ces créations d’exception.

 

Est-il possible de décrire la musique d’un tel homme ? Impossible. Saisir l’impact  de cette unique émotion suffit. Quelle est la raison de ce frisson que l’auditeur, avisé ou pas, sent dès les premières notes ? Un appel à se mouvoir vers une destination invisible : l’océan, l’espace, l’ailleurs, l’univers ? L’essentiel réside dans  cet appel à se surpasser qui touche au cœur et ramène son lot d’émotions. Toute la force de la musique de Vangelis et sa grandeur sont  là: une sensation extraordinaire qui abolit les frontières entre passé, futur et présent. D’ailleurs, tout moment présent s’éclipse, l’enjeu étant de jalonner le futur avec des retours fulgurants dans le passé.

 

Ainsi Vangelis, le timide et discret artisan de la musique qui ne l’a jamais appris à l’école suit sa voie vers la lumière et l’éternité. Encore un monument grec d’un humanisme rare que nous admirons avec bonheur et humilité. Les hommes s’en souviendront, les étoiles aussi !

 

Alex Caire *

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1) sur scène londonienne depuis mai 2012, Chariots Of Fire The Play, coproduite par Hugh Hudson, est présentée au The Gielgud Theatre à Londres jusqu’au 10 novembre 2012. A noter que Sir John Gielgud a joué un rôle  secondaire dans le film Chariots Of Fire dirigé åpar Hudson en1981

2) Mythodea, 28 juin 2001, Temple de Zeus, Athènes, Grèce. Hommage à la mission de la Nasa pour Mars, avec Jessie Norman, Katelyn Battle– CD et DVD Sony Classic

3) El Greco, CD 1995, 1998  et musique du film El Greco, 2007

4) Alexander, film d’Oliver Stone, 2004

5) Rhapsodies, CD avec Irène Papas, 1986

6) Private Collection, CD avec Jon Anderson, 1983, dont quelques reprises dans A Page Of Life, avec Jon Anderson, 1991 

7) Blade Runner, meilleur SF du XXème siècle, film de Ridley Scott, 1982, CD 1994 et 2007 et plus de  9 versions cinématographiques de 1982 à 2007 en VHS, DVD et Blue Ray

 

* Extrait du Temps perpétuel

 Alex Caire, Le Temps perpétuel, tous droits réservés, Horus Editeur, 2012

    

 

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23 juillet 2012 1 23 /07 /juillet /2012 21:50
L’Égypte a-t-elle un avenir ?

 

 

 

Étrange coïncidence. Le musée Jacquemart-André à Paris clôt son exposition, le Crépuscule des Pharaons, le 23 juillet 2012, jour  de la célébration en Égypte de la révolution des officiers libres de 19521.

 

Quel sens porterait en 2012 une date si chargée de symboles ? L’Égypte a attendu presque 60 ans pour mener sa deuxième révolution qui, à la différence de celle de 1952, porta au pouvoir Mohamed Morsi, membre de la confrérie des Frères musulmans, sous l’œil plus que circonspect des militaires qui partagent désormais ce pouvoir avec lui.

 

Quelle révolution ?

 

Maintenant que les dés sont jetés, diverses franges du peuple égyptien redoutent le nouveau régime ; à commencer par les Coptes qu'il ne faudrait minorer l’importance, tant qu'ils représentent 12,5% de la population de ce pays gigantesque qui compte environ 84 millions d’âmes. Des intellectuels, pour ne pas dire des libéraux, et parmi eux nombre d'artistes, ont déjà quitté le pays. Les médias officiels se font rassurants bien que sur la toile plusieurs sites décortiquent faits et gestes du frère Morsi qui, faute d’initier un plan d’action concret, entame son mandat par amadouer l’Arabie saoudite, l’Iran et le Hamas. La presse, les médias locaux et quelques médias internationaux commentent l’évolution de la situation actuelle qui n'occulte pas le gouffre économique et social où  gît le pays. Le niveau des réserves de la Banque centrale égyptienne est passé de 36% à 15% en une seule année ! À en croire la rue égyptienne, la Révolution continue.

 

Quelle révolution ? Et ces millions d'enfants et d'exclus qui attendent un traitement médical décent, un salaire pour le moins correct ou une éducation scolaire non frelatée par la corruption, ont-ils besoin d'une révolution permanente ? Qui les aide ? Je ne crois pas que les ONG gérées par quelques midinettes de la bourgeoisie égyptienne du Jazzera Club du Caire ou les projets caritatifs des retraités de l'OMS qui roulent en Mercedes allègent la souffrance du vrai peuple. Il  serait ridicule de suivre les débats, dits contradictoires, de la fameuse chaîne Al’Jazira, sachant que nombre de mouvements radicaux en Égypte sont financés par le Qatar ! Et les femmes ? Sortiront-t-elles, sous Morsi, travailler et participer à la vie du pays ou seront-t-elles confinées à être de simples gardiennes voilées de familles  nombreuses ?

 

Quel débat ?

 

Le moment est venu pour se demander quel avenir aura l'Égypte dans les quelques années à venir dans le cadre d'un débat crédible qui proposerait  des solutions réalisables. Le nombre de problématiques qui cernent le pays est en soi accablant. Quant commencera la reconstruction ? Ouvrir les chantiers vitaux, quitte à nettoyer des plaies qui saignent toujours !

 

À commencer par la nouvelle Constitution, tant attendue, et les libertés citoyennes, les oulémas n’ont point de compétence pour rédiger un tel document crucial. Leur opinion n’a d’ailleurs qu’une valeur indicative, puisque l’Égypte est un pays multiconfessionnel. Cette tâche incombe aux juristes qui sont au fait des vrais problèmes. Quant à la liberté des cultes, il faudrait se référer à la situation d’avant 1952 pour prendre la mesure de la situation. Vient ensuite le rôle des militaires, 40% de l’économie locale. Ils ne regagneront pas leurs casernes par enchantement. Leur mission de cordon sécuritaire est inévitable. Le nouveau gouvernement souffrira d’une longue et délicate cohabitation au moins jusqu’à l’application d’une nouvelle constitution. Le bilan de la santé publique est catastrophique. Les cliniques privées qui ont pignon sur rue excluent davantage des populations déjà marginalisées par la pauvreté et par le chômage. Construire de nouveaux centres médicaux publics devient impératif. L’argent ne manquera pas si le gouvernement impose une taxe sur les banques d’investissement et les agences de change. Il suffirait aussi que le secteur privé y participe. Quant au bilan  de l’éducation nationale, il n’est guère brillant ; 40 pour-cent de la population ne sachant ni lire ni écrire. 

 

Que nous dira Alaa Al'Aswani2 avec sa fameuse verve révolutionnaire qui rappelle un militant de gauche des années soixante ? Où se trouve Boutros Boutros Ghali3 et pourquoi garde-t-il le silence, comme d'ailleurs nombre d'égyptiens  vivant à l’étranger ? À part ses déclarations d’intérêt général, Farouk El’Baz4 ne propose rien de nouveau, lui qui avait énuméré des priorités d’action depuis une quinzaine d’années? Suffirait-t-il d'honorer un cinéaste égyptien à Cannes 2012 pour prétendre que le courant postrévolutionnaire France-Egypte passe toujours quand on devine le silence du pouvoir socialiste en France et le prestige dont jouit la présence culturelle française en Égypte? Youssri Nasralla5 n’est pourtant pas Youssef Chahine6 qui a passé la moitié de sa vie à guerroyer avec la censure d’état tant ces films sont frappants d’une vérité que personne ne voulait voir en face. Chahine le visionnaire ne pratiquait ni de collage ni de superposition de scènes pour faire vrai.

 

Des signes d’espoir

 

L’héritage de l’ère Moubarak est certes lourd, voire lourd de conséquences pour l’avenir d’un pays qui n’a pratiqué l’exercice démocratique que récemment et dans la douleur. L’inertie bureaucratique, la résistance au changement et la corruption sont hélas des maux bien ancrés dans la vie quotidienne. Cependant, un point d’honneur distingue ce pays, l’absence de la fibre sanguinaire dans la personnalité égyptienne profonde ; à savoir cette faculté innée de patienter face à l’adversité, de réfléchir et d’éviter  le recours systématique à la réparation de l’injustice par le sang. Il suffit pour s’en convaincre de suivre les réalités de la rue en Iraq ou en Syrie pour constater que la scène dudit Printemps arabe n’a produit que le chaos et la montée des extrémismes ; même si la Tunisie et la Lybie entrevoient à peine le chemin de la pacification sociale. Il ne suffit pas de se révolter pour détruire mais se révolter pour ériger un lendemain décent et viable.

 

Une issue salutaire existe, le concordat social. J'entends par là  déployer un effort  constant pour informer et persuader la conscience égyptienne que les urgences du pays passent avant une personnalité, une autorité ou un parti politique donné: la santé, l'éducation, l'industrie à restaurer, la lutte contre le désertification, les défis de l’eau, l’équilibre des forces dans une région agitée, le cordon sécuritaire que maintient l'armée et surtout la paix sociale qui concerne la société entière. Il  ne sert à rien de secouer le drapeau de l'Islam qui résoudrait tout. Le problème n'est pas celui de la foi mais celui de la capacité de tout égyptien à se relever et travailler au lieu de détruire et brûler. Se regarder en face, regarder le monde autour de soi et agir. Un plan d’action, pas des luttes de pouvoir qui rappellent  les incidents d'Alexandrie de 19547!

 

 

 

L’Égypte parviendra-t-elle à éviter un crépuscule prévisible ou serait-t-elle à l’aube d’une ère porteuse d’espoir ? L’Islam ne sera pas la seule solution de l’Égypte du XXIème siècle. Le gouvernement de Morsi va certes agir avec prudence, mais aussi avec la légendaire ambiguïté des Frères. Tôt ou tard, le peuple l’attendra au tournant. Il devra répondre des ces actes. La révolution a aggravé une situation déjà désastreuse. Le peuple attend des solutions au niveau de la santé, l’éducation, l’emploi et  surtout la sécurité.

 

Un ancien ambassadeur d’Égypte en Suisse  m’avait confié au début du siècle  que l’Égypte survit grâce aux anciens égyptiens. « Les Pharaons tiennent encore la boutique », disait-il dans un soupir amer, faisant référence aux recettes du tourisme. Que fera la jeunesse égyptienne afin que sa révolution ne se soit pas reléguée aux yeux de l’Histoire au rang de simple révolte; à moins que le 25 janvier 2011 ne deviendrait  un jour férié comme le 23 juillet 1952 ?

 

 

Ahmed Hamouda *

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1) Commandant des officiers libres, le général Mohamed Naguib mt fin le soir du 23 juillet 1952 au règne de Farouk 1er, roi d’Égypte, à la suite de quoi la Première république d’Égypte fut proclamée

2) Alaa Al’Aswani, romancier égyptien, auteur du best-seller l’Immeuble Yacoubian qui fut porté à l’écran égyptien et connut un  grand succès

3) Boutros Boutros Ghali, éminent diplomate égyptien, ancien Secrétaire général de l’ONU, ancien Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie après avoir été Ministre d’État des Affaires étrangères sous Anouar El-Sadate

4) Farouk El’Baz, scientifique américano-égyptien  et éminent géologue de l’espace

5) Youssri Nassralla, cinéaste égyptien

6) Youssef Chahine, grand cinéaste égyptien, Palme d’or du Festival de Cannes 1997

7) Lors d'un meeting politique en Alexandrie en 1954, des coups de feu ont été tirés dans la direction de Gamal Abdel Nasser, fraîchement élu Président de la République égyptienne au lendemain de la révolution des officiers libres en juillet 1952. Une vague d'arrestation et de séquestration arbitraire s'en suivait parmi les rangs des Frères musulmans, à la suite de quoi une interdiction formelle de ce mouvement a été décidée. Aucune preuve claire n'a été établie à ce jour prouvant l'implication de ce mouvement  dans cet attentat.

 

 

* Poète, éditeur francophone d’origine égyptienne, ancien diplomate onusien

  La chronologie des éléments de cette chronique prend fin en décembre 2012

 

 

 

 

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28 septembre 2010 2 28 /09 /septembre /2010 15:40
Nasser

Nasser

Anouar El’Sadate grimpait nerveusement l’escalier de l’appartement de la famille Nasser, en ce début d’après-midi agité du 28 septembre 1970. Il rata la dernière image du raïs vivant. Il eut juste le temps de lui fermer les yeux. Gamal Abdel Nasser est mort dans son lit      après une vie animée de victoires, d'espoir et de déception. L’Egypte ne sera jamais remise de cette perte. Il est rare qu’un homme politique divise autant l’opinion publique de son pays depuis près de sept décennies. L’Egypte qui l’a vu naître en 1918 sera toute autre à sa mort, ce jour du 28 septembre ancré dans l’histoire de celle-ci telle une huitième plaie. Le raïs rendit son dernier souffle, emporté par une complication cardiaque, en état d'épuisement total. Menant une guerre d'usure contre Israël après la défaite de 1967, cette guerre a eu raison de lui. Son bilan politique reste contesté voire sujet à des divergences dites historiques, mais demeurent la trace de l’Homme et du leader charismatique du destin arabe durant les  dix huit  années que dura sa présence sur la scène politique mondiale. Son héritage demeure revendiqué par ses pires détracteurs. La confusion actuelle de la rue égyptienne en témoigne, à la veille d’une échéance électorale majeure qui déterminera ou pas l'avenir du pays, au moins pour les deux décennies à venir. Nasser est-il  venu au bon moment, comme le prétendent certains observateurs de la politique du Moyen-Orient au XXème siècle? La réponse est oui. L'Egypte de Nasser ? Dépourvue de souveraineté à la veille de la révolution  coup d'état militaire  de 1952, l’Egypte se trouvait traversée par un vent d’indépendance, par une volonté d’égalité sociale, par une réforme agraire et une révolution industrielle. Elle vibra en 1956 à la reprise du Canal de Suez  et se dota d’une créativité artistique, d’un niveau de recherche scientifique et d’un rayonnement culturel régional sans précédents. L’Egypte se distingua rapidement par une génération d’intellectuels chargée d’espoir. Le rêve commença à devenir réalité ; mais le débâcle n’était pas loin. Nasser travaillait beaucoup, mangeait peu et fumait trop. Il était surtout mal entouré. L'équipe gouvernante composée dans sa majorité de militaires n’était pas préparée à gérer  un pays de cette ampleur. Elle ne parviendra pas à donner à l’Egypte la stature économique et sociale qui lui faisait- lui fait-il encore - défaut. Resta le peuple qui vivait en interaction constante avec la passion patriotique de son leader. Si l’Histoire conserve l’image d’un homme qui a rendu  à la dignité arabe ses lettres de noblesse, celle d'un président  qui a réussi  en 1956 un coup de poker politique qui se solda par l’échec d’une expédition militaire contre l’Egypte, elle conservera celle d’un homme défait en juin 1967 à la suite d’une guerre éclair qui dura six jours. Nasser prit la décision de se retirer du pouvoir ; mais le peuple égyptien refusa et déferla dans la rue le 9 et le 10 juin pour le remettre aux commandes. L’armée fut reconstruite, l’espoir revenait, la nation reprit confiance. Mais le raïs qui voyait sa santé décliner refusait de suivre les recommandations de ses médecins, jusqu’à ce jour du 28 septembre. Nasser a toujours cru en la pérennité de son pays : "les empires et les envahisseurs qui se sont succédés ont disparu. Seule l’Egypte demeure". Sa mort a changé radicalement le destin arabe, les  rapports de force et les méchanismes géopolitiques de la région. Reste un questionnement essentiel. Que reste-t-il de l'héritage de Nasser: l’indépendance en 1954, la reprise du Canal de Suez en 1956, le barrage d'Assouan en 1964, la guerre de 1967 puis la victoire d’Anouar El’ Sadate en 1973 ? Et puis rien ou presque depuis 1981. Quelles sont les perspectives de ce pays de 82 millions d'habitants pour le siècle déjà entamé ? Quel sera son avenir à la veille de la guerre de l'eau et le tarissement des ressources vitales ? L'Egypte sera- t- elle au rendez-vous de son Histoire ? A-t-elle assez interrogé son passé  ou bien la révolution de 1952 a-t-elle fini par dévorer ses enfants ? La fin de l’ère Nasser a vu des milliers d’égyptiens quitter leur pays pour un avenir meilleur ou pire. Nombre d’égyptiens préfèrent, nostalgiques, rester en exil volontaire au lieu de rentrer. Un autre Nasser pour l’Egypte en devenir ? Pourquoi pas ?

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Extrait

Le Temps perpétuel

Alex Caire/ Ahmed Hamouda-2010

  

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4 janvier 2010 1 04 /01 /janvier /2010 14:00

http://www.enkiri.com/heart_and_soul/albert_camus3.jpg

 

 

 

 

 

Le jour où tu as perdu la vie, j’avais à peine 7 ans. Je ne te connaissais pas encore ni même lu aucune de tes œuvres. Tu es  mort aux côtés de ton ami Michel Gallimard. A côté de ton corps sans vie,  gisait ton dernier manuscrit, le Premier homme. Ainsi tu es  mort comme tu as vécu, dans la lumière, dans le combat. Mais si tu as disparu avant terme, signant ainsi l’accomplissement d’un destin consacré à la quête de la vérité et le rejet de l’absurde, tu demeures vivant dans les cœurs de tous les esprits qui refusent la résignation à l’ordre établi, la soumission à cet absurde moderne qui consiste à consommer et se taire. Si je t’écris maintenant, au l’aube de mes 57 ans, après avoir vécu 10 ans de plus que toi, sans rien donner au monde que quelques éclats de vanité; à savoir du néant, c’est pour essayer de combler ce fossé qui nous sépare : ma dette vis-à-vis de toi. Certains pessimistes diront que c’est peine perdue. Mais la vie n’en est-elle pas une ? Je t’ai connu, lu, débattu, disserté, critiqué pendant mes dernières années de maîtrise en littérature. Tu as été le premier homme qui m’a appris à vivre mes principes, à écrire comme je le suis devenu,  sans concession, en combat perpétuel contre mon époque et les limites d’autrui qui t’entravaient tant, cherchant toujours un  refuge illusoire dans l’amour fugace des femmes et l’amitié incertaine des hommes. Mais si ton époque est définitivement révolue, cédant la place à celle où triomphent les fureurs de la vulgarité, le recul de l’esthétique, l’arrogance des hommes et le règne de la pègre universelle, tu incarnes pour toujours, et à jamais - sans que je me vois cédant à un sentimentalisme niais ou à une nostalgie puérile, le courage de la noblesse, la véritable noblesse; celle du refus du médiocre, de l’injustice et du massacre des innocents. Tu as heurté pas mal de sensibilités quand tu disais que les hommes meurent et ne sont pas heureux, que Dieu ne répond plus, donc il n’existe pas ; mais ton œuvre et ton acharnement dans la dignité, dans le silence, éblouissent encore, même après cinquante ans de ta disparition. Tu étonnais ton époque par cette franche et sombre faculté d’interroger le monde, la mort et le destin. Ta vie s’est écoulée en perpétuel questionnement. Tu as laissé des réponses nuancées, ouvertes, mais inévitables. Tu as mis à jour la plaie que constitue l’injustice délibérée. J’ai mis 23 ans pour parvenir à contredire quelques-unes de tes pensées,  interroger l’homme qui gît à l’intérieur du penseur. Avais-tu fait trop confiance à l’Homme ? As-tu vu seulement la lumière en lui et pas assez les ténèbres qui le tourmentent ? As-tu lu le Coran ? J’en conviens qu’à ta mort, une version française digne de ce nom n’avait pas encore vu le jour, à moins que tu ne l’aie pas voulu, occupé comme tu étais à régler tes divergences byzantines avec Sartre ? Lui, il n’a jamais eu cette qualité qu’il ne t’a d’ailleurs jamais pardonnée: le courage de dire la vérité et dénoncer le mal, sans violence, mais sans concession. Avais-tu eu raison de renoncer ta vie durant à la radicalité ?  Avais-tu eu le temps ou pas assez de comprendre l’existence du divin ? Ton courage t’a porté loin mais tu n’as pas eu le temps de bâtir ton œuvre, à ta mesure. Tu as laissé une vie à relire, des œuvres à revivre  et des femmes éprises, émues ou stupéfaites par ta disparition. Ton passage dans la vie de Maria Casarès en témoigne : une vie de grandeur, racontée par des corps. Quand je vois aujourd’hui les galeries littéraires du monde occidental exhiber des affiches, éditer des manifestes à ta célébration, à ta gloire, pour des raisons en partie mercantiles- restons courtois , la courtoisie étant elle aussi parmi tes qualités, je souris en pensant à mes nuits d’insomnie que j’ai passées, jeune homme, à disséquer tes écrits tout au long de mes recherches, à mes colères passagères quand un  tel principe ou un tel autre concept échappait  à ma compréhension, à ma révolte contre toi, à la passion que je voue à ton œuvre d’écrivain athée , moi qui est de confession musulmane. Je souris en me souvenant de cette folle idée de  représenter l’évolution de ta pensée dans une graphique chiffrée en 1974, illustrée  par des courbes et des rectangles expliquant comment tu as passé de la communion avec la nature au doute, du doute à la révolte, de la révolte à la confrontation avec l’absurde, de la Résistance au combat journalistique et de l’écrit  au théâtre , sans lâcher prise, aveugle comme tu étais parmi les hommes, traversant debout la douleur d’une maladie incurable, la solitude, le chagrin , la jalousie , la lâcheté et parfois même la trahison de certains à qui tu faisais confiance. Mais le jour où j’ai pensé me débarrasser de toi en décollant vers la poésie,  le jour où je me suis senti à l’abri, dans cette passion bigame des mots, dans cet espoir que tu as caressé mais abandonné avec amertume : rallier l’Algérie et la France à un principe de vie commune, tu es revenu en force me rappeler ma dette, hanter ma pensée, après un  demi siècle de ta disparation, prouvant ainsi que tu es un immortel qui se meut dans la durée, un homme qui interroge le sort des hommes, un homme qui s’installe dans le Temps perpétuel.

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Extrait du Temps perpétuel

Alex Caire - 2010

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28 janvier 2009 3 28 /01 /janvier /2009 13:20

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Issa Makhlouf nous propose un voyage dans le silence, dans le temps de l’amour premier, un voyage dans la mémoire où ses mots, pudiques, portés par une traduction lumineuse d’Abdel Latif Laâbi, rayonnent de cohérence et de mélancolie. L’auteur prétexte une correspondance adressée à une femme aimée jadis que sa sœur découvre. Les deux sœurs deviennent une seule incarnation dans le cœur du narrateur. Mais ceci n’est qu’un prétexte que l’auteur exploite avec toute sa maîtrise du verbe pour exprimer son amour de la vie et notre douleur d’exister. Issa Makhlouf décrit l’amour qui se construit, se déconstruit, au fil de l’étiolement du désir, de l’exil, de l’évocation de l’amour maternel que nul autre amour ne remplace. Pudique, il sonde ce néant qu’il ose à peine appeler absence, départ, éloignement. Les scènes s’ouvrent sur une rencontre, un lieu, un sentiment qui commence, fuit ou finit. Un poème clôt chaque chapitre : une prière dans ces temples lointains, inaccessibles, insondables qui sont les tréfonds de l’âme. Poète, l’écrivain nous mène sur le chemin du souvenir de la patrie, de l’espace intime ; celui de la mère et de l’amour, toujours avec cette radieuse mélancolie qui fait de la poésie et de la prose un tout inséparable, un lieu de la mémoire, une éternité.

                                                                                                    Né au Liban, Issa Makhlouf est  écrivain bilingue, poète, journaliste, traducteur et docteur ès Anthropologie sociale et culturelle. Ambassadeur aux affaires sociales et culturelles auprès de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, il dirige l’information à la Radio Orient à Paris depuis juin 2008.  Auteur de Beyrouth, 1988, La Solitude de l’Or, 1992, L’Œil du mirage,2000, Mirages, 2004, La Pomme du Paradis,2006 et  Lettre aux  deux sœurs, 2008, son œuvre le situe au carrefour de la rencontre de cultures majeures.


                                                                                               

 Alex Caire, poète et critique littéraire francophone d’origine égyptienne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 





 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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7 mars 2008 5 07 /03 /mars /2008 13:51

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aucun romancier égyptien n'ose se départir de l'héritage de Mahfouz ni revendiquer publiquement sa succession. Et pour cause. Ses disciples1 le prennent pour ce qu’il fût : le maître. Cette impression se lit  dans le sourire gêné de Jamal Al’Ghitany ou dans les rires subits de Alaa Al'Aswani, quand on évoque Mahfouz.  Mais les critiques  littéraires étrangers, eux, vont dans tous les sens, fouillent les sarcophages du romancier, exposent  ses momies, visitent ses temples, revisitent ses écrits,  commentent, expliquent mais les critiques passent et Mahfouz reste. Le corps de l'oeuvre demeure imprenable. Si Mahfouz n'était pas devenu romancier, il aurait été psy. Pire. Il serait devenu une vedette de la presse people. Un invité permanent sur les plateaux de télévision. Tout ce qu'il abhorrait. L'oeuvre de Mahfouz ne se déchiffre pas facilement. Les clés y sont dispersées, voire introuvables. On a beau répété que Mahfouz était l'historien de son temps, tant qu'il faisait vivre les hommes politiques de son époque aux côtés de ses propres protagonistes : Saad Zaghloul, Mostafa  El’Nahhas, Makram Ebeid 2, etc.…  C'est en partie faux. Le double miroir de Mahfouz n’existe ni dans les rues du Caire ni dans le temps qui passe ni dans le pays qui change. Il gît dans cette analyse implacable de l'être. On pourrait avoir l'impression que tel ou tel personnage domine tel ou tel   roman,  y impose son empreinte. Mais il n'en est rien. Relisons Mahfouz. Tous ses personnages, ou presque, sont là, passifs, fatalistes, impuissants, suiveurs. Ils succombent soit à leur instinct, soit à la passion, à la maladie ou à la mort.  Ils n'agissent pas, ils réagissent. Mahfouz décrit rarement une action, mais dépeint des discussions, des réactions, des révoltes verbales, des frustrations qui font partie du paysage. Du paysage qui raconte du paysage. Le double fond de la boîte de Mahfouz.

 

L'exemple de Kamal Abdel Jawad 3 est flagrant. A l'école où il enseigne, au café avec ses amis, chez lui dans sa bibliothèque, au lupanar que tient la vieille maquerelle- ex-dulcinée de son père, il est en proie au doute. Sans répit. Après ses courtes répliques, un déluge d'états d'âme, de ressentiments submerge le lecteur ahuri. Kamal n'intervient pas sur sa vie, il subit son existence, souffre d’un manque perpétuel d’amour, inaccessible. Il lit, discute, se déplace, s'enivre, fornique et une fois le feu de sa honte apaisé, il regagne sa chambre d'éternel célibataire. Seul héros de la famille Abdel Jawad, Fahmi, son frère aîné, est mort dans une manifestation politique, si ce n’est leur mère Amina qui incarne l’Egypte patiente et résignée. Chez  Mahfouz, les vrais héros sont toujours absents ou ne vivent qu’un très court laps de temps. Ils s'empressent de partir. Ils tuent ou finissent fauchés par un destin imprévisible, une charge de police dans une manifestation politique, un guet-apens, comme en témoigne Le Voleur et les chiens4  ou La Quête2 .Ce double miroir rend l’œuvre de Mahfouz  insaisissable voire déroutante, même pour certains de ses intimes lecteurs.

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1) Il est d’usage de citer, parmi d’autres, Ibrahim Aslan, Mohammed Al’Bisatie, Gamal Al’Ghitany, Bahaa Taher et Sonallah Ibrahim

2) Héros de la Révolution de 1919 en Egypte et fondateurs du parti Al’ Wafd qui a mené la vie politique de l’Egypte de 1919 à 1952

3) Kamal Abdel Jawad, personnage axial du roman Al-Sukkariyya-1957-trad.Le Jardin du passé,1989. Dernier volume de la Trilogie de Mahfouz

4) 1961

5) 1965 
Alex Caire;  poète, éditeur et critique littéraire bilingue francophone d’origine égyptienne

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7 septembre 2006 4 07 /09 /septembre /2006 16:38
Naguib

 

 

A part les pyramidons inconnus de la Nubie, la basse Egypte compte 9 célèbres pyramides, dont les trois incontournables qui font partie du folklore habituel avec son cortège d'aberrations touristiques. Naguib Mahfouz qui vient de mourir à l'âge de Ramsès II est la seule pyramide humaine des arts et des lettres modernes d'Egypte. Il est mort comme il a vécu, chez lui, dans son vieux Caire. Son Egypte à lui est une ruelle qui s'anime, un sourire, une main tendue, de la générosité face à l'adversité, une patience qui relativise tout,  un silence éloquent face à la tyrannie et à l'intégrisme de tout bord. Une vie de tolérance face à la myopie des hommes. Bref, du temps perpétuel. Viennent ensuite l'écriture, les mots, la vie qui est sa Donia*. Comme il se méfiait des louanges de son vivant, fuyait les récompenses, maléfiques selon lui, il est fort embarrassant de rendre hommage à un grand compatriote après son décès. Si les connaisseurs et les empressés d'y être parlent de l'écrivain, je préfère me souvenir de l'homme qui a enfanté l'écrivain. Toute la grandeur de Mahfouz est là.

 

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*Donia signifie en arabe monde, vie, univers.

  Naguib Mahfouz publie Donia'Allah en 1968

 

 

 

 

 

 

 

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Alex Caire

Naguib - Inédit

Extrait du Temps perpétuel

Tous droits réservés

Horus Editeur-2006

 

 

 

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20 mars 2006 1 20 /03 /mars /2006 10:40


Pour la première fois de l’histoire, un homme d’Etat prend, dans ses mains périssables, le destin d’un continent et proclame l’avènement de l’Esprit ."Ce n’était pas un homme ordinaire que salua Malraux par ces mots.


S’il fut aussi un ami de Camus, Léopold Sédar Senghor a marqué son époque de son empreinte.
Chantre de la négritude en tant que culture, état d’esprit et manière de penser, il la conçoit comme une passerelle à la liberté intérieure de l’homme noir, une synergie entre la culture de ses ancêtres, son présent en tant qu’africain épris de liberté et son avenir qu’il lui appartient de bâtir. Négritude signifie ainsi pour ce barde africain liberté, ouverture sur autrui, valorisation de sa culture et de sa richesse intérieure, afin de mieux appréhender le monde et ses défis.


Ce n’est point un hasard que Senghor déclara avec fierté qu’une "nation sans poésie est une nation sans âme".

Ce n’est pas aussi par hasard qu’il fut un jour élu parmi les immortels. Senghor fait partie des êtres qui ont dompté leur temps, non seulement en laissant une œuvre à la postérité. Son œuvre, ses réflexions et même son action politique nous ont appris à créer un temps qui porte sa propre cohérence. Il nous a prouvé que c’est la culture qui rend possible les sursauts et ouvre les champs de l’humain.

Il déclara: "la culture est une certaine façon à chaque peuple de sentir et de penser, de s’exprimer et d’agir –qui est– la symbiose de la géographie et de l’histoire, de la race et de l’ethnie".

Malgré l’immense héritage qu’il nous a laissé, il était conscient de sa condition d’humain."Il n’ y a que Dieu pour tout réussir", disait-il au crépuscule de sa vie.



Inédit
Alex Caire
20 mars 2006
Tous droits réservés
Horus Editeur - 2006
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