Mon père n’avait des yeux que pour deux vedettes de son époque (qui est devenue aussi mienne, une extension de mon Temps perpétuel): l’acteur Clark Gable mais surtout le crooner Nat King Cole. Il aimait particulièrement l’écouter, le voir chanter portant sa montre sur sa manchette gauche et pas en dessous, comme le faisait également Louis Armstrong …. Toute une époque !
Des bouts d’actualité cinématographiques, en noir et blanc ou en couleurs selon la bobine, montraient les actualités des vedettes de l’époque dans les salles de cinéma de ma ville d’Alexandrie. C’était en 1964. Nat King Cole portait fièrement sa fille Natalie, 4 ans, sur ses genoux, en pianotant ses airs les plus en vogue. Puis la petite a grandi et partagea, haute de ses 8 ans, le piano avec son père adoré. Elle n’avait des yeux que pour lui.
Le temps a passé. Nat King Cole aussi. Mon père également. En 1993, je venais de vivre une bourrasque d’amour dans les bras d’une jeune inconnue venue du froid, du cœur de la Russie. Et puis vint le moment de la séparation, un samedi de septembre, sur un quai de gare en Suisse. Les feuilles d’automne tombaient de partout dans les rues transformant les pas des passants en empreintes sur un tapis glissant, orange et rouge. Inutile de dire que Natalie Cole est devenue une star mondiale du jazz et du blues suivant les traces de son illustre père. En 1990, Natalie sortit une version inédite de l’album de son père, Unforgettable *, qui révolutionna le monde de l’enregistrement des classiques du Jazz Pop en studio. L’ingénieur du son eut l’idée de placer la voix de Natalie juste après la voix de son père sur tout le séquençage de cette fameuse chanson. Ainsi, les deux voix se rejoignent à travers le temps et l’espace créant un duo inédit, comme s’ils enregistraient, ensemble, au même moment, dans le même studio. Un procédé inédit à l’époque. Natalie Cole rendit ainsi à son père un hommage fulgurant et emprunt d’émotion. D’ailleurs, elle chanta ses chansons toute sa carrière durant. Une preuve unique d’amour filiale. Je revois toujours mon père, souriant, en train d’écouter Nat King Cole, toujours à son piano…
What a Nature Boy * !
Mon père et Nat King Cole, les deux rois de ma vie. J’égrène ces souvenirs en hommage à cet homme élégant, emporté et plein de bonté que fut mon père. Je n’ai pas eu le temps de te le dire assez souvent: papa.
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* Les titres Unforgettable (1961), Autumn Leaves (1955) et Nature Boy (1963) font partie du répertoire du chanteur Nat King Cole
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* Extrait
Le Temps perpétuel
Alex Caire - 2025