Le 14 septembre 1822, Jean-Francois Champollion, " déchiffreur d'hiéroglyphes", cria: " je tiens mon affaire », puis tomba dans le coma. Il venait de déchiffrer l'écriture des anciens égyptiens sur la pierre de Rosette. Cette découverte donna naissance à l'égyptologie. Alors que la sonde Rosetta de l'Agence spatiale européenne atterrit aujourd'hui 30 septembre sur sa cible finale, la comète Tchouri, alias 67P/Tchourioumov-Guerassimenko, Vangelis lança "sa" Rosetta le 23 septembre dernier, illustrant en musique cet exploit spatial.
Parler de Vangelis en 2016 semble plus que superflu. Que dire après tant de controverses à l'égard d'une oeuvre si iconoclaste ? Vangelis tutoie les étoiles, la gloire, l'éternité ? Je suis persuadé qu'il s'en moque et laisse les autres parler et écrire sur lui et sur son oeuvre. N'a-t-il pas déclaré à la BBC, en 1982, que pour le connaître, il suffirait d'écouter sa musique?. Rosetta, son dernier (chef d'œuvre... un mot tant galvaudé) opus vient de frapper à nos portes avec, toujours, cette question entêtante. Que veut-il encore nous dire? Lui qui raisonne seulement avec la modestie du son; lui qui pense que la musique est tout, mais surtout une maille invisible de sons.
Concrètement, Rosetta a l'allure de quoi ? De tout ce que Vangelis a conçu depuis 1976. Les puristes vont bondir ! Mais bon, tout Vangelis est là. Il suffit de "se livrer" à l'écoute, bien qu'il est quasi impossible de décrire en mots cette pure expression musicale: "Origins" se lance et nous lance sur la piste de "Spirale". "Starstuff" nous replonge 20 ans en arrière, le temps de "Oceanic", comme si l'espace et le monde aquatique ne font qu'un chez cet étrange créateur. "Infinitude" nous ramène en "1492", sur le chemin du retour de Christophe Colomb. "Exo Genesis" renoue avec "Chariots of Fire", sa symphonie de 1981, avec un éclair rageur vers "Unvisible Connections". Ensuite, "Celestial Whispers" fait son apparition. Quels soupirs célestes! Si le ciel pourrait nous le dire, il en parlerait. Étonnante source de sons ou la clarté se fait reine. La séquence "Albedo 0.06" traduit la perspective de la réflection solaire sur la terre ,vue de la sonde .... Inconcevable, quand on sait que le précédent "Albedo"(solaire/ terrestre) de Vangelis se décline à 0.39 Et puis vint la séquence reine de l'album, "Sunlight": une fontaine de jouvence où la beauté du rayonnement solaire est exprimée au comble de sa majesté. Du bonheur pur. Au point que j'en oublie le reste de l'album; sauf "Return to the Void", séquence surprenante où Vangelis semble nous rappeler que nous ne sommes que des constellations éphémères dans l'espace.
Vangelis: 73 ans, plus de 50 albums originaux et toujours transmettre à son public cette impression d'auditeur étonné. Est-il possible de concevoir un tel dynamisme créatif qui se perpétue avec le temps? Avec Rosetta, Vangelis n'a pas seulement franchi la barrière du son cosmique, mais celle de l'invisible. Il atteint l'infranchissable souveraineté de l'expression musicale. Il rejoindrait bien Champollion, courbé sur sa pierre de Rosette, dans cette éternelle quête de l'innovation. Champollion serait certes surpris de connaître Philae, l'attérisseur "intime" de Rosetta, Osiris, sa caméra principale ainsi que Ma'at, sa" zone de crash" sur la comète Tchouri. Vangelis franchit les barrières de l'éternité avec gravité et surtout avec grâce. On reste souvent muet devant ce foisonnement de sens; ce foisonnement de sons. L'aventure de Rosetta ainsi exprimée, elle incarne la majesté dans la grâce.
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Alex Caire
Extrait- Le Temps perpétuel- 2016
* Rosetta- Vangelis / Decca-2016 (Multisupport)