J’ai toujours accordé une grande importance aux lieux qui, contrairement aux humains, sont perpétuels. Le temps nous traverse dans un éclair pour continuer son voyage perpétuel vers un infini qu’aucun humain n’a su définir. J’ai choisi depuis quelques années de mesurer notre furtive et ô combien futile existence face à l’immense solitude du temps, tout en essayant de célébrer, faudrait-il bien une quelconque consolation, le temps perpétuel propre à chacun de nous, voire mon propre temps perpétuel. Avec l’écoulement du temps, surtout les moments de bonheur qui s’empresse de partir, je fus toujours heurté par cet indicible lien qui lie l’art dans son accomplissement à la beauté que l’humain essaie de créer pour se perpétuer dans le temps infini; comme quoi Michel Del Castillo n’a jamais été plus juste qu'en affirmant que depuis les pyramides, les hommes n’ont de cesse de dresser des livres entre eux et la mort. Je me suis alors demandé pourquoi donc mourir quand goûter à l’art ou le concevoir sous le prisme de la beauté nous permettra de vivre ou de revivre ce que nous avons de plus précieux: le temps. Je dois néanmoins avouer que le concept de la Beauté est devenu une denrée si rare à notre époque défigurée par la bêtise, la vulgarité et l’avidité. Notre époque malade d’une morbide métamorphose érigée en principe de survie. Nous sommes sommés d'évoluer, de changer, de s’adapter, toujours s’adapter, à tout prix, suivant le diktat d'une époque où nous sommes tous devenus des étrangers les uns aux autres, tout en prétendant le contraire.
Vient alors le rôle des lieux dans une vie. Nous serons toujours marqués par des lieux qui nous sont aveugles, sourds mais jamais muets. Nous sommes nés pour être marqués par des lieux qui nous donnent des bribes de savoir, à commencer par celui de notre finitude. Quant à nous, nous passons d'une dimension à une autre et nous ne donnons rien ou presque.
Une fois entouré par l’indicible beauté des jardins andalous du Généralife, à Grenade, un miracle se produit, quand l’ombre vient atténuer les dernières empreintes du soleil sur le jaillissement perpétuel de l’eau, rythmé par le silence de l'instant, du non temps indéfinissable, dans ce paradis figé dans l'esprit des humains, cernés, eux, par la finitude. La beauté, quant à elle, est infinie. Elle transcend la description. Perpétuelle, elle poursuit son voyage dans son propre temps perpétuel.
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Alex Caire
Extrait
Le Temps perpétuel
Horus Éditeur- 2021